Sylvain nous a quittés

mis en ligne le 11 décembre 2013
1725SylvainIl était né à l’été 1936. Ses parents ouvriers français de Nice, avaient acquis une bicyclette chacun pour leurs premiers congés payés. Ils s’en furent en Espagne où la lutte les appelait. La mère était enceinte. L’enfant vint au monde dans la fureur et la joie du combat. On le nomma Alain.
Cette fiction autoproduite d’une genèse révolutionnairement convenue, Sylvain me la servit lors d’une interview que je réalisai de lui il y a cinq ans. « Laisse lui sa fantaisie », m’intima son fils, « ça ne mange pas de pain ».
Un jour de sa jeunesse parut en librairie une œuvre de Maurice Dommanget Sylvain Maréchal, l’homme sans dieu, aux cahiers Spartacus. Alain Macé devint Sylvain.
Il s’est toujours défini comme ouvrier. Cette toute-puissance prolétarienne lui permettait de clouer le bec à tout freluquet étudiant, au nom de la doxa révolutionnaire.
Je l’ai connu dans le feu de l’action, début mai 1968. Il était l’idole des lycéens. Un feu follet. L’ambiance était au rire ininterrompu, aux blagues. Tout venait à nous en beauté. Ses ennemis le croyaient flic, car déjà, il affabulait tout le temps.
« Point d’ordre » : nous sommes en assemblée générale dans l’amphithéâtre à la fac occupée de Lyon. Tout le monde parle au dessus de tout le monde. C’est chaud. Sylvain grimpe sur l’estrade. Chacun connaît Sylvain. « Point d’ordre : les sous-marins remontent le Rhône » ! (de Gaulle s’est tiré en Allemagne, on attend l’armée). Écroulement dans la salle. Morts de rire, se souvient son amie Cristóbal.
Il était membre à la veille de 68 du groupe Bakounine de Villeurbanne (69), scissionniste de la FA, proche de Noir et Rouge ; groupe auto-dissous fin juin, lors de la fin de l’insurrection. Ce groupe forma, avec l’ex-JCR hérétique, le « mouvement du 22 mars de Lyon », lié à Nanterre par connexions directes.
Sylvain a participé au congrès anarchiste de Carrare, sous l’étiquette de « Fédération anarchiste Monégasque en exil ». Sylvain eut quelques correspondances avec Guy Debord que nous lisions tous ardemment et s’est rapproché en fin de parcours, occasionnellement, de René Riesel, son « voisin ».
Sylvain exerça mille métiers. Il fut notamment ébéniste, un art qu’il acquit auprès d’Antoine Marsella, notre mentor et ami à tous.
Il s’en fut quelques années en Afrique subsaharienne où il fut formateur avec son enthousiasme perpétuel. C’est Sylvain qui transforma ma thèse, il y a trente-cinq ans, orientée sur les anciens métiers, en histoire de l’anarchisme auprès des vieux militants.
Cependant son identité rêvée et subie était celle d’un manuel doublé d’un autodidacte féru de science révolutionnaire contemporaine.
Sylvain était un amoureux systématique. Il se glorifiait d’une consommation érotique sans limite et sa spontanéité ne tarissait jamais. D’aucun avançaient même qu’il avait passé son Mai 68 couché, tant son front principal de « jouir sans entraves » rivalisait avec la lutte des classes.
Toutefois on ne peut séparer la vie de Sylvain de celle de Françoise Routhier, luxembourgiste, avec qui il forma un couple mythique, qui fut la mère d’un de ses fils. Avec elle, il trouva un second souffle à sa taille : dans les Cevennes, pour se rapprocher de Deligny, ils s’implantèrent à proximité des mines abandonnées, dans la région d’Alès l’industrielle. Il y fut membre entre autres de la CNT, ainsi que d’un réseau de SEL. Les Cévennes offrirent à Sylvain sa dernière résistance paisible, auprès de sa compagne Ramona, jusqu’à l’accident fatal qui le frappa au cerveau il y a un an. Il survécut à demi, et puis partit sans douleur. Il fut incinéré dans un minuscule cimetière de camisards.