Les révolutions de Mattick

mis en ligne le 18 décembre 2013
On ne s’attendait pas qu’un livre consacré au parcours de vie d’un théoricien des crises économiques, également partisan des conseils ouvriers, se lise comme un roman. Le titre, pourtant, annonçait la couleur.
Nous sommes dans l’Allemagne de 1918 qui vibre de passions révolutionnaires : « Pour moi, écrit Mattick, la révolution fut surtout une grande aventure. Nous étions fous d’enthousiasme… »
Le jeune Paul aura l’occasion de voir en chair et en os Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg parler devant le Reichstag.
Car elle fut pour le moins étonnante la vie (1904-1981) de l’apprenti mécanicien Paul Mattick : élu à 14 ans délégué au conseil ouvrier en tant que représentant du conseil des apprentis, il avait d’abord fréquenté les bandes d’adolescents qui, dans Berlin, pillaient les commerçants à la recherche de nourriture et de charbon ; enfance misérable, mais enfance heureuse, dit-il ; et aussi chanceuse : il échappa à la tuberculose qui décimait ses jeunes compagnons après 1918.
Puis, à partir d’un engagement dans la Jeunesse socialiste libre, il ira jusqu’à fréquenter le monde artistique et littéraire pour finir lui-même par prendre la plume, comprenant que « c’était une très belle chose que de pouvoir écrire ».
En 1920, lors du putsch de Kapp, il manifeste dans la rue ; fait prisonnier et collé au mur avec ses camarades, il échappe, encore par chance, à la fusillade grâce à la mansuétude d’un officier qui le trouve trop jeune pour être exécuté.
Sa vie militante se poursuit à coller des affiches, à distribuer des tracts et à fabriquer et vendre des journaux. Suite à un affrontement, il est abandonné baignant dans son sang, laissé pour mort, mais il s’en tire encore, sauvé par la police !
À l’époque, pour financer leurs journaux, les jeunes pratiquaient beaucoup l’expropriation en tout genre, activité, note Mattick, qui devint « au fur et à mesure une fin en soi ».
Donc, une vie militante à organiser des grèves, des occupations d’usine. Lors de l’une d’entre elles, la police défonce la porte au canon. Il s’en sort encore alors que ses compagnons sont massacrés. Cette vie trépidante est cependant parsemée de moments d’humour où l’amour a aussi sa place.
Il faut saluer tout un travail de notes et de commentaires qui éclaire le lecteur peu familier des événements et des acteurs hauts en couleur de ce temps. De même, on peut se perdre dans les sigles des différentes organisations ouvrières et leurs scissions : KPD, KAPD, AAU, AAUE, SPD, USPD, IWW, etc. Et tout un chacun n’a pas les clés pour comprendre ce communisme de conseil opposé au bolchevisme, au capitalisme d’État et au capitalisme tout court : « Pour nous, il était évident que toute cette saloperie de société finirait par s’effondrer et que la révolution adviendrait un jour. C’était une chose dont nous étions alors tous absolument convaincus. »
En 1926, Mattick a 22 ans et il s’exile aux États-Unis où il trouve rapidement du travail. Il est alors marié avec deux enfants à charge. Il entre en contact avec les wobblies, les Industrial Workers of the World, avec qui il se sent très à l’aise. Et c’est à ce moment qu’il va sérieusement approfondir sa culture marxiste. Mais, dit-il, « l’idée d’une séparation entre théorie et pratique […] a toujours été absente de notre esprit ».
Là encore, le lecteur désireux d’en savoir plus sur les communistes de conseil trouvera toutes les entrées possibles.
Mattick continuera à militer aux États-Unis. Il note que dans ce pays le risque était d’être descendu dans la rue sans autre forme de procès. Lors de la grande crise de 1929, il va s’impliquer totalement dans des actions directes avec les chômeurs et les expulsés qui ne peuvent plus payer leur loyer. Période excitante pour Mattick qui réussit un moment à survivre sans travailler.
En fin de compte, la vie exemplaire d’un homme qui pratiqua le refus de parvenir tout en restant fidèle à son engagement d’adolescent. Mattick a vécu porteur d’une espérance, habité par l’enthousiasme. Oui, sa vie fut une belle aventure humaine.