La vie est une lutte

mis en ligne le 6 février 2014
Danielle Lesur, surnommée Dadou, s’adresse à sa petite fille. Pendant des mois, cette factrice a consigné dans un cahier d’écolier son histoire. Une vie de femme comme il y en a des milliers : née en 1955 dans une famille pauvre de quinze enfants, elle épouse un homme qui pendant sept ans s’ingéniera à lui faire vivre un enfer. Les coups et les humiliations pleuvent. Danielle résiste, refuse de baisser la tête, lutte de toutes ses forces contre un quotidien de violence et de misère sociale. Si elle reste avec son mari, devenu alcoolique, c’est avant tout de peur que celui-ci ne se venge sur leur fille en bas âge. Par peur de l’inconnu aussi : où irait-elle ? Parents, collègues, flics… tous regardent ailleurs, mi-innocents, mi-complices. Son amour-propre, bien malmené, lui enjoint de ne pas s’exposer à d’avantage d’humiliations. Dans le petit village normand où elle vit, le regard des autres n’a rien d’indulgent et la peur de ne pas être crue la taraude. « Si son mari la frappe, la violente, s’il boit, c’est certainement qu’elle a une part de responsabilité. Vous savez, il n’y a jamais de fumée sans feu ! » écrit-elle en se souvenant de ces voix malveillantes.
Ces années sont racontées avec des mots simples. Danielle n’a pas la prétention de faire de la littérature mais de briser le silence et de témoigner. Les émotions sont intactes, dans toute leur complexité. L’amour, la peur et la haine se superposent.
D’après nos beaux principes, on n’a rien à attendre d’un salaud qui bat sa femme. Dans la vraie vie, c’est un peu plus compliqué que cela. Nous portons tous les tares de notre société, capitaliste, violente, patriarcale. Comment s’étonner que soumis à la misère, à l’abus d’alcool ou de drogue, le pire soit possible chez une personne ? Le meilleur est également possible. Danielle a lutté avec courage et dignité, faisant montre dans les plus durs moments d’un incroyable instinct de survie, comme cette nuit terrible où son mari la blesse à la jambre avec une carabine et où, serrant sa fille dans ses bras, elle s’enfuit dans la nuit.
Voici le récit de femme battue que l’on ne lit jamais. Une histoire qui ne se termine pas de manière tragique. Un jour se produit un véritable coup de théâtre. Sans sommation, elle brise une bouteille sur le crâne de son mari. Calmement, elle lui annonce que bientôt l’un des deux sera bientôt au cimetière et l’autre en prison. « Ne me rate pas, car je te jure que moi, je ne te raterai pas. » C’est la fin du cauchemar. Se produit chez Bernard une véritable prise de conscience : voir sa victime riposter, l’entendre affirmer que jamais elle ne baissera la tête vous pousse à réfléchir. Si les hommes se permettent de violenter les femmes, c’est parce qu’ils savent parfaitement qu’ils peuvent le faire en toute impunité. Si les femmes apprenaient à rendre coup pour coup, nul doute que les violences diminueraient de façon exponentielle. Belle leçon de féminisme.
Traître la vie est une déclaration d’amour. Bernard ne touchera plus une goutte d’alcool et pendant vingt ans sera le compagnon idéal. Vingt ans de bonheur pendant lesquels il fera tout pour se racheter. Et Danielle pardonnera, même si elle n’oubliera pas un seul jour de ces sept terribles années. Et la vie suit son cours : vacances en famille, projets… Une vie simple mais incroyablement riche. Même après la mort de Bernard, un véritable choc tant elle est soudaine, Dadou continue à avancer.
Dadou nous montre la première et essentielle étape de l’émancipation : se respecter et défendre son individualité. Son récit nous rappelle que si, pour certains d’entre nous, la vie est une lutte contre l’État, le capital… pour beaucoup (trop) de personnes, il s’agit de survivre, au jour le jour. Et que ce sont ces personnes, fortes et déterminées, ces survivants, qui feront la révolution sociale et libertaire.