Interview de l’ABC Belarus par A-Radio Berlin (mars 2014)

mis en ligne le 17 avril 2014
1739ABCQuel est l’état actuel des prisonniers anarchistes en Bielorussie ?
Leur situation est en constante évolution et nous essayons de faire des mises à jour en anglais sur le site www.abc-belarus.org chaque mois, résumant tous les changements.

Ihar Alinevich a écrit un livre en prison, sur la base de son journal. Comment est-il distribué et quelle a été la réaction en Biélorussie ?
Le livre a été publié en 2012 avec l’aide de l’éditeur Radical Theory and Practice, un collectif anarchiste. Il a été publié en Russie, puisqu’il n’est pas possible de le faire en Biélorussie. À l’heure actuelle, le livre est distribué dans plusieurs librairies et lors d’événements culturels. Ihar a reçu un prix pour le meilleur livre écrit en prison en Biélorussie en 2013. En 2012, 1 000 exemplaires ont été imprimés pour la Russie et la Biélorussie et 1 000 autres ont été imprimés en 2013, juste pour le Belarus. Il y a eu beaucoup d’intérêts pour le livre dans les groupes politiques de la société. Le livre a également réussi à amener les idées anarchistes à des gens qui en étaient assez éloignés. Il ne les a pas nécessairement transformés en anarchistes, mais il leur a montré que l’anarchisme existe et est une théorie politique sérieuse.

Quelle est la situation de travail pour les anarchistes en Biélorussie en ce début de 2014 et en particulier des actions anti-répression ?
Il y a plusieurs groupes anarchistes qui travaillent activement dans le pays : l’Initiative contre la gentrification, Food Not Bombs, l’Action révolutionnaire, l’Anarchist Black Cross. À part pour l’Action révolutionnaire, tous les groupes ont un accent ou une question spécifique.

Pourriez-vous décrire brièvement la forme que la gentrification a pris en Biélorussie et ce que les gens font contre elle ?
C’est un problème croissant. Dans de nombreuses villes à travers le pays, les centres anciens sont se « reconstruits » en quelque chose de laid. À Minsk, la gentrification se produit non seulement dans le centre-ville, mais dans toute la ville. Les prix des logements sont en hausse et les entreprises construisent des maisons dans les petites arrière-cours des maisons, juste pour rentabiliser l’espace au maximum.
Dans le centre-ville, il n’y a pas beaucoup de place pour les immeubles de bureaux, donc ils essaient d’obtenir les meilleures places qu’ils peuvent, même en détruisant l’infrastructure publique. Par exemple, il y a un projet de détruire la nouvelle station de bus et de construire un centre d’affaires pour la compagnie de gaz russe Gazprom à sa place.
Le Championnat mondial de hockey sur glace est encore une autre raison pour la gentrification. Un ensemble d’infrastructure à usage unique est construit pour les touristes qui arrivent.
Les gens utilisent le plus souvent des moyens juridiques de lutte : rédaction de plaintes, participation à des débats publics et ainsi de suite. C’est parfois utile, parfois non. Certaines personnes font aussi de temps en temps des actions illégales, comme la destruction de clôtures, empêcher les travailleurs d’aller travailler, ou l’organisation de manifestations illégales contre les plans de construction à côté de leurs maisons.

Quel est concrètement votre travail anti-répression à l’ABC Biélorussie ?
En ce qui concerne les travaux contre la répression, ils sont de deux ordres : la prévention et les actions en conséquence de la répression.
La première partie comprend l’éducation des différents groupes sur la façon de réagir face à la répression. De temps en temps, il y a des formations sur la façon de communiquer avec la police, sur les descentes de police, les tactiques de la police secrète et ainsi de suite. Ces formations sont prévues en prenant en compte les spécificités du groupe et les menaces que ce groupe pourrait subir de la part de l’appareil d’État.
La deuxième partie a lieu une fois que la répression s’abat sur les gens, quand ils sont détenus, arrêtés. Dans ces cas, nous essayons de fournir des conseils sur ce qu’il faut faire et sur les meilleures pratiques à adopter, et aussi de les soutenir financièrement, le cas échéant. À l’heure actuelle, il existe deux cas concernant les antifascistes à Brest-Litovsk qui ont besoin d’un soutien financier pour les avocats, les amendes, les produits et bien de confort en prison. En dehors de cela, nous essayons de plaider pour la nécessité de prendre des précautions de sécurité avant que quelque chose se passe. Parfois, il faut expliquer aux gens pourquoi ils ont besoin d’une formation ou pourquoi ils devraient lire une brochure s’ils ne sont pas confrontés à la répression en ce moment. Le niveau général de la répression est encore assez élevé.

Quelle est votre stratégie politique pour obtenir la libération des prisonniers qui sont encore à l’intérieur ?
Eh bien, maintenant nous ne pouvons pas faire grand-chose concernant les prisonniers politiques. Nous n’avons pas beaucoup d’influence dans l’UE, pour les forcer à prendre en compte la situation des prisonniers politiques. Par ailleurs, des militants des droits de l’homme commencent à diviser l’ensemble de la liste des prisonniers politiques en différentes catégories, définissent les dirigeants politiques de l’opposition comme une priorité plus élevée et laissent un peu de côté les prisonniers anarchistes.
De notre point de vue, nous ne pouvons pas compter sur la libération des personnes détenues avant la fin de leur peine. Si cela ne se produisait, ce serait une belle surprise, mais de toute façon cela ne dépend pas de nous. Les tensions sociales et une dynamique de protestation élevée pourraient changer la situation, mais pour l’instant nous ne savons pas comment la société réagira sur les prochaines années, la situation économique se détériore.

Avez-vous l’impression que la stratégie fonctionne ? De quelle manière ?
Eh bien sans une stratégie directe, nous ne pouvons pas analyser si oui ou non cela fonctionne. La pression médiatique à l’extérieur du pays a permis la libération d’un des anarchistes emprisonnés même s’il a dû écrire une lettre d’excuses au président. Maintenant, il est en sécurité à l’extérieur du pays.

L’Ukraine, un voisin direct de la Biélorussie, connaît des changements majeurs à l’heure actuelle, même avec la possibilité d’une guerre. Avez-vous des contacts avec les camarades là-bas ? Si oui, comment peut s’exprimer la solidarité dans ce contexte ?
Nous avons des contacts avec des personnes en Ukraine mais l’information que nous obtenons sur la situation diffère, en fonction de qui nous l’envoie. Pour sûr, en ce moment le mouvement nécessite autant d’argent que d’un soutien psychologique. Cependant, les personnes qui soutiennent doivent être conscientes que certains groupes ont commencé à travailler avec les nationalistes et leur soutien pourrait se retrouver dans les mains de ces nationalistes.

Pouvez-vous en dire plus sur ces groupes anarchistes qui travaillent avec les nationalistes ? Cela sonne comme une alliance étrange…
Ces groupes se justifient en disant que c’est une nécessité en temps de révolution, et aussi avec le fait que ces nationalistes utilisent de plus en plus la rhétorique de gauche dans leurs critiques du système économique et social. Les solutions qu’ils proposent sont aussi un mélange de l’anarchisme et du nationalisme. En ce qui concerne les différents groupes, il est difficile de les distinguer puisque la situation n’est pas tout à fait claire. Narodniy Nabat, par exemple, travaille avec Autonomni Opir (nationalistes autonomes).

En Russie, Vladimir Poutine resserre l’étau sur la société civile, et en particulier pour la communauté LGBT pour qui la vie devient très difficile. Grâce à vos contacts avec l’ABC Moscou, et d’autres groupes, avez-vous eu l’impression qu’il y a une nécessité accrue pour les travaux d’anti-répression en Russie ou bien est-ce une vision occidentale d’un État policier qui a une vision déformée de la situation ?
La situation des soi-disant libertés politiques en Russie est pire chaque année. Elle ne se dégrade pas aussi rapidement que celle du Bélarus, par exemple, mais à en juger par les nouvelles et l’information de camarades, il est clair que la répression s’aggrave et que le gouvernement russe devient de plus en plus réactionnaire. Compte tenu de cela, de plus en plus de travail d’anti-répression est nécessaire pour permettre aux groupes politiques de survivre et de croître face à la répression permanente de l’État.

À partir d’avril, vous envisagez une nouvelle tournée d’information et de solidarité, tournée à travers l’Europe. Où les gens peuvent-ils vous rencontrer ?
Eh bien, ils peuvent nous retrouver en Allemagne, France, Espagne, Suisse, Autriche, République tchèque et peut-être quelques pays d’Europe de l’Est. Les dates précises sont à voir en fonction des différents pays et des différents groupes.

Quoi de neuf à propos de cette tournée ? Est-ce que les gens peuvent apprendre des choses n’étaient pas déjà présentées lors de la tournée de l’année dernière ?
Sur cette tournée, nous voulons nous concentrer un peu moins sur le sujet de la Biélorussie en tant que tel et un peu plus sur l’état actuel de la répression du mouvement anarchiste et sur nos façons d’y faire face. Nous ne voulons pas parler du pays d’où nous venons, mais plutôt de l’expérience que nous avons eu contre la répression quotidienne dans ce pays.

L’an dernier, et déjà en 2011, vous avez fait des info-tours à travers l’Europe. Quelles ont été vos expériences avec eux : au niveau politique, financier ou même humain ? Avez-vous pu établir des liens durables ?
Les deux Info-tours étaient importants. Nous avons pu entrer en contact avec des gens qui font un travail de solidarité. Nous avons appris de gens et réussi à soulever des questions avec lesquelles les gens n’étaient pas si familiers. Nous avons récolté un peu d’argent, que nous utilisons encore actuellement. Nous avons également été en mesure d’entrer en contact avec des gens qui nous fournissent un soutien sur du long terme, l’envoi de fonds de temps en temps et nous aident pour d’autres choses importantes. À travers ces Info-tours, nous avons trouvé des camarades et des amis avec qui nous développons des projets communs et en mettant le monde plus proche de l’utopie pour laquelle nous nous battons.