Féminisme ou humanisme intégral ? Lucia Sanchez Saornil (1895-1970)

mis en ligne le 26 juin 2014
C’est dans les années 1920 que Lucia entre dans la militance anarchiste et anarcho-syndicaliste. Cet engagement politique n’est que peu étonnant et semble s’inscrire dans la continuité de l’idéal de liberté qu’elle prônait, dans l’art, à travers l’ultraïsme. Vers 1923, elle se syndique à la Confédération nationale du travail (CNT). Créée en 1910, la CNT est alors le deuxième syndicat le plus important, juste après la socialiste Union générale des travailleurs (UGT). De type anarcho-syndicaliste, la CNT se bat, à court terme, pour l’amélioration des conditions de travail tout en impulsant des perspectives et des dynamiques révolutionnaires qui doivent aboutir, à long terme, à la mise en place d’une société nouvelle, émancipée et débarrassée du capitalisme et de l’état.
Au sein de la CNT, Lucia prend part aux luttes sociales qui éclatent dans les années vingt à la Téléfonica. Son activisme politique et syndical sur son lieu de travail est alors si important que la direction de l’entreprise décide, en 1927, de la muter loin de Madrid, à Valence. Mais, deux ans après, en 1929, à nouveau mutée, elle revient dans sa ville natale. Le 6 juillet 1931, quand éclate à nouveau une grève nationale à la Téléfonica, Lucia se mobilise et s’implique dans le mouvement gréviste de la centrale de Madrid où elle travaille. Véritable agitatrice, principale figure féminine du mouvement, elle devient peu à peu célèbre pour son talent oratoire et la prestance qu’elle dégage, malgré sa petite taille. Mais cette fois la direction, qui ne prend même plus la peine de la muter, la licencie d’emblée.
Au chômage, Lucia n’en reste pas moins engagée en politique. Elle écrit régulièrement des articles pour différents journaux anarchistes, comme Tierra y Libertad, Solidaridad Obrera et la Revista blanca. En 1933, sa plume prolifique la propulse au poste de secrétaire de rédaction du journal de la CNT pour lequel elle écrit, là encore, bon nombre d’articles. « L’État est un corrupteur dépravé qui a fait de la corruption une vertu », affirme-t-elle alors dans les colonnes.
Mais, à cette date, la guerre civile approche. Elle éclate le 18 juillet 1936 lorsque, sous le commandement du général fasciste Francisco Franco, l’armée espagnole se soulève au Maroc contre la jeune république espagnole et son gouvernement de Front populaire. Le putsch s’étend et les militaires se rebellent un peu partout en Espagne. Le gouvernement républicain de Manuel Azana reste passif, refusant, dans un premier temps, de reconnaître l’ampleur du soulèvement et, dans un deuxième, tentant vainement de passer un accord avec les fascistes (le remplacement du Front populaire par un gouvernement de compromis). C’est donc la population elle-même qui prend les armes pour s’opposer aux putschistes et au régime fasciste qu’ils incarnent. À Barcelone, le 19 juillet 1936, les militants de la CNT, armés, se révoltent et font capituler les militaires insurgés, non sans l’aide des gardes civils et des gardes d’assaut qui fraternisent avec la cause antifranquiste. À Madrid, où réside Lucia, le peuple parvient, tant bien que mal, à obtenir quelques armes (défectueuses !) et, le 20 juillet 1936, donne l’assaut à la caserne de la Montana où se trouvent les soldats franquistes. Lucia fait partie des assaillants et la caserne finit par tomber, offrant au peuple résistant des armes plus efficaces pour se défendre. Mais si Barcelone, Madrid et plusieurs régions d’Espagne parviennent à repousser les fascistes, d’autres tombent entre leurs mains : c’est la guerre civile.
L’engagement antifasciste de Lucia recouvre plusieurs aspects. Elle se rend régulièrement au front pour récolter des informations pour le journal CNT (en 1936, notamment, elle est envoyée sur celui de Guadalajara) ou pour apporter aux miliciens de la nourriture, des médicaments, des vêtements neufs et des munitions. En 1938, elle devient responsable de la propagande de la section espagnole de l’organisation Solidarité internationale antifasciste (SIA). Issue du Comité pour l’Espagne libre (CEL) créé en 1936 par les anarchistes français Louis Lecoin et Nicolas Faucier, la SIA naît officiellement en 1937 après le congrès de l’Union anarchiste. Son but est simple : aider les antifascistes espagnols en leur faisant parvenir des armes, de la nourriture, des médicaments et des vêtements. Plus tard, après la victoire franquiste, la SIA sera également très active dans l’accueil des réfugiés en France. Particulièrement dévouée et réputée comme infatigable, Lucia laisse, au mois de mai de la même année, le poste de responsable de la propagande et se voit confier la gestion du secrétariat général de la section espagnole.
Mais l’antifascisme de Lucia n’est pas la façade d’un vide idéologique. Il est, au contraire, porteur d’un véritable projet politique, économique et social : l’anarchisme. Elle considère que sa « mission va au-delà de l’antifascisme borné ». Et c’est pourquoi, ne souhaitant se contenter d’apporter seulement son soutien au front, elle participe aussi à l’organisation et à la gestion des collectivités agricoles proches de Madrid qui, pendant la guerre civile, proclament le communisme libertaire et réorganisent la société sur des bases égalitaires et antiautoritaires.
Engagée dans la lutte anarcho-syndicaliste, anarchiste puis antifasciste, Lucia va aussi, et surtout, se distinguer par son combat difficile pour l’émancipation de la femme, combat qui, pendant la guerre, va se télescoper avec la lutte antifranquiste et la révolution sociale.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Thiago

le 8 juillet 2014
Chers camarades,

J'aimerais entrer en contact avec Guillaume Goutte. Comment puis-je? Mon email est thiagobakunin@yahoo.com.br.

Cordialement,

Thiago Lemos