De la cohérence entre les idées et les actes

mis en ligne le 26 juin 2014
Dans les archives d’un certain Athénée libertaire nous avons pu contempler une grande quantité d’actes de mariage, certifiés par des camarades du comité, en représentation de celui-ci.
Et, comme ici, il est certain que nous pourrions les trouver dans les archives de n’importe quel syndicat ou dans les bureaux d’un bataillon confédéral.
Il se trouvera sans doute quelqu’un pour enlever de l’importance à ces choses-là, peut-être quelqu’un qui estimera que cela ne vaut pas la peine de remplir deux feuillets pour ce genre d’affaire, et il essaiera même d’en sourire et d’en faire des plaisanteries.
Nous, nous estimons au contraire que dans une période de profonde transformation sociale il n’y a aucun détail ou aucun évènement, pour aussi peu important qu’il paraisse être, qui ne doive pas être examiné par nous avec une très grande attention.
Ces faits que nous croyons être de petites choses ont parfois une importance transcendantale sur la vie et les relations des individus, qui sont le fondement de base de tout l’édifice social.
Isolément, chacune de ces petites choses paraît ne pas avoir d’importance, mais comme aucune d’entre elles ne vit et ne subsiste par elle-même, sinon qu’au contraire elle a une étroite relation avec les autres, il est nécessaire que personne ne les considère avec dédain et légèreté.
Nous, les anarchistes, nous avons durant des années prêché l’union libre, anathématisant – pardonnez-nous le terme – le rituel canonique et même le rituel civil du mariage.
Nous avons rempli des journaux, des revues et même des livres pour condamner les vieux formalismes matrimoniaux, en les reliant, à juste titre, à ce qui était la base du système capitaliste : la prostitution. La prostitution dans tous ses aspects : celle de l’homme qui devait hypothéquer sa pensée et ses idées pour manger, celle de la femme qui devait pour la même raison, arriver à la vente de son propre corps. La prostitution, conséquence obligatoire de l’exploitation.
Si cela fut ainsi, si nous avons, des années durant, affirmé que pour l’union de deux individus il suffisait du libre consentement de chacun d’eux, et qu’un certificat matrimonial n’était rien d’autre qu’un contrat de vente, quelle explication donnerons-nous à ces absurdes cérémonies qui commencent à acquérir leurs lettres de noblesse dans les organismes syndicaux ? Et c’est doublement honteux car cet acte n’est rien d’autre qu’une fidèle copie de la cérémonie canonique puisque, pour qu’il ait des effets juridiques, il doit être, tout comme l’autre, confirmé et légalisé plus tard par un tribunal.
Et nous affirmons son caractère honteux car, au fond, il ne représente rien d’autre que l’intromission publique dans l’acte charnel, la traduction d’une fonction simple et naturelle en un évènement spectaculaire du genre pornographique.
Nous ne nous lassons pas, et ne nous lasserons jamais, de répéter que nous sommes en train de faire la révolution, que le moment est venu de changer les paroles en actes, qu’il faut maintenant faire honneur par la pratique au verbiage facile de révolutionnaires et d’anarchistes, ce qui revient à être révolutionnaire deux fois.
Si la révolution signifie la réforme des coutumes, commençons par là, mais vite, rapidement, apportons à la vie tout ce qui hier constituait nos aspirations, notre loi et nos principes. Nous avons dit l’autre jour que la révolution devait commencer en nous-mêmes et si nous ne le faisons pas, nous perdrons la révolution, ni plus ni moins, notre mentalité bourgeoise ne fera que ravaler la façade des vieux concepts à ces petites choses qui sont parfois les meilleurs dénonciateurs de notre manque de capacité révolutionnaire.
Condamnons, si cela nous plaît, la liberté d’union, mais ne la déguisons pas lâchement sous d’hypocrites cérémonies, mêlant les syndicats à notre lâcheté spirituelle.

Lucia Sanchez Saornil