Le football aux footballeurs

mis en ligne le 10 juillet 2014
1748FootballUD CEARES
Pelayo, 25 ans.
Branche professionnelle : hôtellerie CNT, Gijón.
Club : Socio de l’UD Ceares.

Question : étant un des clubs participant au mouvement contre le football moderne, dites-nous pourquoi conserver le modèle traditionnel de club au lieu d’utiliser la formule d’actionnariat populaire qui caractérise votre mouvement. Au-delà du dilemme socios/actionnaires, la clef se trouve peut-être dans les propres valeurs du mouvement, et dans la recherche d’un rôle plus important des supporters grâce à de plus grands quotas de participation...

Réponse : Tenant compte de tous les avis sur le sujet, nous pensons que le modèle traditionnel de club (1 socio = 1 vote) est plus intéressant que celui de l’entreprise (même quand les actions sont partagées). D’autre part, notre club a une histoire de 65 ans et il ne serait pas logique d’essayer de le transformer en entreprise. De toute façon nous combinons, sans que ce soit contradictoire, une orientation politique et sociale très avancée, avec un attachement aux valeurs et codes traditionnels de ce sport qui ne peuvent être effacés par le capitalisme le plus extrême dans lequel est plongé le football moderne.

Q : Quelles ont été les répercussions dans la ville de ce retour aux valeurs traditionnelles du football ?

R : Très positives : nous nous sommes aperçus qu’il y avait énormément de gens en ville « orphelins » d’un point de vue footballistique, aimant réellement le football, mais qui détestaient ce qu’est devenu le football moderne, médiatisé, spectaculaire et capitaliste. Billy Bragg disait que la formule « Capitalism is Killing Music » pourrait également s’appliquer dans ce domaine, et qu’on pourrait dire « Capitalisme is Killing Football ». C’est pour qu’il n’achève pas de le tuer que nous nous battons, avec à nos côtés tous ces gens de Gijón et de beaucoup d’autres villes qui se joignent à ce projet. Nous sommes agréablement surpris du succès de la campagne d’abonnements de socios, de l’impact que nos initiatives ont sur la base populaire. Nous voulons qu’à la fin d’une journée de championnat les gens s’intéressent au résultat du Ceares et non à celui du Barça ou du Real.

Q : La devise de votre campagne est explicite : « Les derniers pour l’argent, les premiers pour le cœur », mais… jusqu’à quel point le cœur peut-il rivaliser avec l’argent dans des catégories comme la 3e division où vous évoluez ?

R : Il le peut, ce qui est curieux c’est qu’il peut rivaliser, du moins dans ces catégories ; avec notre budget, la logique voudrait que cette année nous descendions directement en division régionale, mais nous sommes certains qu’avec l’effort des joueurs et le soutien des tribunes nous pouvons réussir l’exploit de nous maintenir dans notre catégorie ; pour les footballeurs ce n’est pas la même chose d’avoir cent spectateurs passifs dans les tribunes, que plus de trois cents bruyants et démonstratifs comme nous espérons en avoir cette année, grâce en partie aux efforts de la direction qui a permis d’avoir les abonnements les moins chers de la 3e division, de créer de nouvelles catégories de socios (moins de 20 ans, moins de 30 ans et surtout chômeurs, ce qui est novateur, du moins dans les clubs asturiens), et de propager ces idées partout où c’était possible. Nous pouvons garantir que nous aurons ainsi le public le plus jeune et le plus motivé de la 3e division asturienne. L’illustration de la campagne est extraite d’une affiche de la guerre civile, où l’on voyait les footballeurs du camp républicain demander de l’aide pour les enfants réfugiés victimes des bombardements ; ça nous a semblé une image et une idée si forte et émouvante que nous n’avons pas hésité à la réutiliser.

Q : Quel rapport y a-t-il avec l’école de football de Mareo ? Quelles sont les plus grandes difficultés que vous pouvez rencontrer au moment de mener à bien votre projet, en tenant compte du fait que vous êtes l’exception et non la norme chez les autres équipes de votre catégorie ?

R : Avec le Sporting et le centre de Mareo nous avons une relation normale de collaboration entre clubs d’une même ville, et ils nous aident en nous offrant du matériel et en nous cédant des joueurs, bien que nous soyons nombreux à penser qu’ils pourraient s’impliquer plus et de façon permanente, et non comme actuellement où il semble qu’il s’agisse pour eux d’une simple question de courtoisie ; il faut également noter que de nombreux socios et supporters du Ceares le sont aussi du Sporting, ce qui devrait susciter un peu plus d’intérêt de leur part, puisque nous sommes la seconde équipe de Gijón. Quant à l’autre partie de votre question, et bien le fait d’être quelque peu différent crée beaucoup de curiosité, et nous distingue du reste des catégories footballistiques des Asturies (fédération et clubs), mais ça n’entraîne pas particulièrement de rejet, car il faut être conscient que hormis quelques « déshonorantes » exceptions, les clubs de 3e division sont dirigés de façon désintéressée par des gens véritablement amateurs de football, qui œuvrent pour lui sans aucune compensation. Nous avons aussi noté de l’intérêt et de la sympathie chez de nombreux supporters du Sporting qui ne sont pas d’accord avec la conception mercantiliste du football moderne si répandue de nos jours. Cela dit, au niveau compétition et administration, nous fonctionnons aussi bien que n’importe quel club des environs, et nous participons à toute initiative favorisant le football de base, comme celle consistant à soutenir une revendication nationale des clubs de 3e division, pour protester contre la prolifération des matchs télévisés qui tuent peu à peu la fréquentation des terrains de quartier. Et en ce qui concerne le fait d’être l’exception et non la norme, nous voudrions que ce soit le contraire, et que la campagne mondiale contre le football business se développe pour arracher définitivement le sport de la classe ouvrière des griffes du capitalisme. Ce qui est sûr, c’est que, même loin d’être idéales, ces initiatives ont un « goût » très particulier, qui rappelle un autre type de relations sociales plus humaines et solidaires que nous ferions bien de retrouver, en misant sur un changement social et populaire en marge du capitalisme.

CAP CIUDAD de MURCIA
Francisco Javier, 19 ans.
Branche professionnelle : Bâtiment CNT, Lorca
Club : supporteur du CAP Ville de Murcie.

Question : Pourquoi avoir opté pour la formule de l’actionnariat populaire, plutôt que pour celle, classique, choisie par la majorité des clubs ?

Réponse : Parce que nous sommes convaincus que c’est la seule formule qui garantisse la stabilité et le maintien d’un projet sportif. Les clubs, exception faite du plus haut niveau et encore pas toujours, ont vécu au-dessus de leurs moyens, dépendant toujours d’un mécène, attendant toujours qu’un chef d’entreprise ou un politique en place subventionne les fins de semaine footballistique.
Cette époque est révolue : disparitions (de clubs), non-paiement des joueurs et du personnel technique, dettes atteignant des millions envers le fisc et la Sécurité sociale presque toutes causées par des caprices personnels… C’est là que l’actionnariat populaire implique directement la participation active de tous les adhérents, que ce soit au quotidien, comme pour toute prise de décision empêchant des orientations contraires à l’intérêt du club.

Q : Cette nouvelle formule est-elle compatible avec les souhaits de succès dans la compétition professionnelle ?

R : Sans aucun doute, l’actionnariat populaire n’est pas incompatible avec les objectifs professionnels, il se contente simplement de situer ceux-ci à leur juste place, selon les possibilités réelles du groupe et jamais au-dessus.

Q : Pensez-vous qu’avec le temps cette formule puisse se développer ?

R : Ça devrait être le cas, car c’est la seule solution pour la survie de centaines de clubs.

Q : En quoi, au quotidien, un club d’actionnariat populaire peut-il se différencier des autres ?

R : Fondamentalement, par la multiplication des tâches bénévoles, ce qui rehausse l’implication de l’actionnariat. Dans la mesure de ses possibilités, chaque actionnaire consacre le temps nécessaire au club de manière altruiste, ce qui élimine certains coûts.

Q : Quels objectifs vous fixez-vous pour cette saison ?

R : Le Ciudad a toujours été un club conquérant par nature, ses supporters aussi, ce qui implique que les objectifs seront : au point de vue sportif, l’ascension dans la division supérieure, et en ce qui concerne son fonctionnement interne, la croissance et le renforcement.

Q : Quel retentissement a eu votre projet dans la presse ?

R : Il y a eu plusieurs périodes ; quand nous avons lancé le projet, la presse écrite s’en est fait l’écho, mais ensuite il y eu des mois de silence total, bien que notre site web ait été de plus en plus fourni en contenu et informations. Par la suite, à notre retour de Manchester – vers avril – et avec le début du recrutement du staff technique et des joueurs, la presse écrite ainsi que les radios se sont intéressées au projet.

Q : Si je ne me trompe pas, l’association de supporters du club, les City Boys, a un poids important. Comment cela est-il perçu par le supporter de base et par la presse locale ?

R : Depuis sa création et avec le temps, l’association City Boys s’est développée et son implication dans ce projet a été fondamentale, et on peut affirmer que sans ses membres elle n’aurait pu se réaliser. Le supporter de base voit ça de deux façons différentes, suivant qu’il est opposé au projet par scepticisme – bien qu’il finisse par l’accepter – ou qu’il soutienne ce projet du Ciudad, en sachant que les City Boys sont le moteur du soutien, dans les bons et les mauvais moments, grâce aux encouragements dont l’équipe a besoin quand ses forces faiblissent. C’est sans aucun doute le meilleur groupe d’animation du football régional. Pour la presse, c’est sûr qu’ils n’ont jamais été bien vus, mais nous croyons que c’est dû plus à des préjugés sociopolitiques qu’à une véritable connaissance du phénomène.

Q : En ce qui concerne votre projet, avez-vous un club de référence ?

R : Sans hésiter : le FC United of Manchester ; ils ont ouvert la voie et nous suivons ce qu’ils font.

Q : Avez-vous des relations avec ceux qui comme vous, appréhendent d’une autre manière le monde du football ?

R : Il ne peut en être autrement. Nous nous sommes rendus à Manchester pour voir, apprendre et faire connaître notre projet à tous les membres du FC United, nous restons en contact avec les membres du Ceares aux Asturies, avec le nouveau Palencia, ainsi qu’avec tout mouvement social qui reconnaisse dans le football certaines valeurs, dépassant celles d’ordre purement financier. Le CAP Ciudad de Murcia est le seul en Espagne où les supporters utilisent cette forme d’organisation pour un club sportif de football, ces même supporters qui ont dû subir d’innombrables fautes de comportement d’anciens dirigeants, qui préféraient, entre autres grands « exploits », dépenser l’argent du club pour leurs intérêts personnels.


Iván N.C. / journal CNT n°381
Traduit par Wally Rosell
Groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste