Retour sur la grève à Air France

mis en ligne le 8 octobre 2014
Ces dernières semaines, les médias s’en sont à nouveau donner à cœur joie contre la grève, profitant de celle des pilotes pour déverser leur bile libérale. C’est que les pilotes ont su mener une vraie grève, imposant un rapport de force favorable à leurs intérêts de travailleur jusqu’à faire plier la direction d’Air France. En somme, une grève comme on n’en fait plus beaucoup en France. Une grève combative et sans complexe, qui ne tombe pas dans les pièges culpabilisants tendus par la propagande gouvernementale et patronale. Ils ont tenu bon, donc, et ont gagné – même si les médias, Le Monde en tête, se plaisent à dire que le conflit s’est terminé sans vainqueurs (oubliant au passage qu’Air France a lâché son bébé Transavia Europe). Cette victoire est d’autant plus importante qu’en faisant grève les pilotes n’ont pas préservé que leurs seuls intérêts corporatistes. En se dressant comme un rempart face aux ambitions antisociales de la direction, ils ont aussi protégé les salariés plus fragiles dont les mobilisations auraient sans doute étaient économiquement moins impactantes pour l’entreprise (sans pilote, l’avion ne vole pas). Un aspect que la direction avait d’ailleurs très bien compris et qu’elle s’est acharnée à occulter, essayant de dresser les autres salariés de la compagnie contre les pilotes. Ces manipulations pourtant grotesques ont donné lieu à des situations ubuesques où quelques stewards et hôtesses de l’air hurlaient sur les grévistes, les accusant d’être des égoïstes et des privilégiés.

La contre-attaque médiatique
La force et la réussite (relative) finale de ce mouvement social expliquent la haine que les médias bourgeois lui ont vouée pendant plusieurs jours – et qui continue encore par-ci par-là. Le Parisien, qui d’habitude se targue d’être relativement impartial, s’est fendu de plusieurs unes pour le moins partisanes : « Le jeu kamikaze des pilotes », « 14 jours de grève, une ardoise de 300 millions d’euros : tout ça pour ça ! ». Le Monde y est allé plus direct, sans chichis : « La grève des pilotes ne se justifie pas », titrait-il le 17 septembre. Bon, on ne dira rien du Figaro, porte-voix officiel du libéralisme : rien de surprenant à ce qu’il soutienne la direction – lui au moins a le mérite de ne pas donner dans l’hypocrisie. Libération, en revanche, quotidien préféré de la « gôche », n’est pas non plus en reste dans le cassage de grévistes.
L’un des angles d’attaque préférés des plumitifs fut celui du salaire des pilotes. Régulièrement, ils assénaient des contre-vérités et des raccourcis, brandissant les fiches de paie de ces salariés comme des militaires l’étendard pris à l’ennemi. De fait, et c’est incontestable, les pilotes sont des travailleurs bien rémunérés, touchant entre 3 000 (copilote débutant) et 10 000 euros brut (commandant de bord) par mois. Mais combien empoche Alexandre de Juniac, actuel PDG d’Air France ? En 2013, il a encaissé 375 000 euros brut, soit 62 500 euros par mois (il a pris ses fonctions de PDG en juillet 2013) ; donc entre vingt et sept fois plus que ceux qui font concrètement tourner la compagnie qu’il dirige (son travail à lui ne consistant essentiellement qu’à gérer l’administration qui extrait pour lui la plus-value des pilotes). Là encore, la façon de poser les questions traduit une volonté politique bien précise. Car plutôt que de s’indigner que des gens qui touchent un salaire correct fassent grève, pourquoi ne s’indigne-t-on pas que la majorité des travailleurs, en France ou ailleurs, touchent si peu ?

Victoire en demi-teinte ?
Bien sûr, concrètement, la victoire aurait pu être plus éclatante, et, pour l’heure, les syndicats n’ont toujours pas obtenu une chose essentielle, à savoir que les pilotes de Transavia (la filiale low-cost de la compagnie) travaillent sous les mêmes conditions que ceux d’Air France, plus favorables. Ils ont donc certes mis un frein sérieux à une menace bien réelle de délocalisation de leurs emplois, mais leur victoire n’est pas totale, loin s’en faut. C’est dire combien le rapport de force doit être conflictuel pour que les travailleurs parviennent à faire flancher un patronat puissant et fort du soutien sans faille d’un gouvernement à ses bottes (d’autant plus quand il est actionnaire de l’entreprise concernée par la grève). L’arrêt de travail ne suffit plus, et sans doute les pilotes ont manqué de radicalité dans les moyens utilisés pour mener leur combat. Ils auraient gagné à chercher la convergence avec d’autres secteurs professionnels en lutte (et qui ne manquent pas en cette rentrée : les hôpitaux, les femmes de chambre) et à acculer la direction et le gouvernement en ayant recours à des actions coups-de-poing, de type occupation et, pourquoi pas, sabotage. La grève montre aussi les limites – l’impasse ? – du syndicalisme dit « autonome » ou « indépendant », l’absence de l’organisation en fédérations et en confédération rendant de fait très difficile toute dynamique interprofessionnelle. L’idée n’est pas, bien sûr, de faire une leçon de lutte aux pilotes grévistes, mais de s’interroger sur les réalités contemporaines des combats salariaux. L’épisode Air France montre en cela que la grève est toujours l’arme primordiale des travailleurs pour leur émancipation, mais dans quel cadre doit-elle s’inscrire ? À travers quelles organisations doit-elle s’exprimer ? Et comment peut-elle dépasser le seul arrêt de travail pour épouser des ambitions plus… révolutionnaires ?

Guillaume Goutte
Groupe Salvador-Segui de la Fédération anarchiste



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


JCB

le 17 octobre 2014
Un article élogieux sur la greve des pilotes AF, j'y crois pas !? Mais si Oui la greve a été exemplaire en démontrant leur solidarité. De nombreux vols long courrier ont été annulés alors que ces pilotes n'étaient pas directement concernés. Mais ne nous trompons pas: solidarité exclusivement corporatiste ! Quand l'auteur écrit: (...) en se dressant come un rempart face aux ambitions antisociales de la direction, ils ont ainsi protégé les salariés les plus fragile (...) " il se trompe sur toute la ligne ! Dans le tract du principal syndicat SNPL du 5 septembre, il est clairement écrit: "Plus personne ne parle concretement du prix des escales France que pourtant le rapport d'experts préconise de réduire drastiquement ". En clair, le personnel au sol Air France coute trop cher. il faut faire appel à la sous traitance comme chez Transavia. Depuis plusieurs années, 3 plans de départ volontaires se sont succédés, les services au sol sont en cours de dépeçage, et les syndicats pilotes (hormis ALTER) ne lèvent pas le petit doigt !

JCB

le 17 octobre 2014
SUITE
Et l'auteur de cet article poursuit: "les pilotes ont manqué de radicalité (...) ils auraient gagné à chercher la convergences avec d'autres secteurs professionnels en lutte". Les syndicats de pilotes AF n'ont que faire des autres mouvements sociaux ! Dans leur grande majorité, les commandants de bord sont plus préoccupés de leur villa en province et de leur placement financier que par le smicard ou le chomeur du coin.....
L'auteur essaye de passer à sa moulinette ideologique une greve de syndicats corporatiste qui aurait mérité une reflexion plus approfondie
Atterris camarade......