Mort de Rémi Fraisse : c’est un meurtre d’État, et non une bavure

mis en ligne le 12 novembre 2014
1756PolicePaul Conge : À Toulouse, place du Capitole, lors du premier hommage à Rémi Fraisse, on lisait : « La police assassine » sur une banderole. Comment caractérisez-vous la mort de Rémi Fraisse ?

Mathieu Rigouste : Cette banderole disait : « Zied et Bouna (27 oct 2005), Timothée Lake (17 oct 2014), Rémi Fraisse (26 oct 2014), RIP, La police assassine, Ni oubli ni pardon ! ». Parce que, ce 27 octobre, c’était l’anniversaire de la mort de Zied et Bouna à Clichy-sous-Bois en fuyant la police, qui déclencha la grande révolte des quartiers populaires de 2005. Parce qu’une semaine avant le meurtre de Rémi, le 17 octobre, c’est Thimothée Lake qui a été tué par la BAC à Saint-Cyprien (Toulouse), dans une supérette et dans l’indifférence quasi générale.
C’était exactement cinquante-trois ans après le massacre policier du 17 octobre 1961, durant lequel la police parisienne tua plusieurs dizaines d’Algériens en lutte pour la libération de leur peuple. La propagande de l’État et des médias dominants produisent une histoire « nationale » et officielle qui permet de légitimer le fonctionnement de cette violence industrielle.
Dans le cas de Rémi, La Dépêche du midi a ouvert le bal des mythomanes en publiant cette histoire de corps retrouvé dans la forêt, laissant planer l’idée que la police n’avait rien à voir là-dedans, voire même qu’elle l’avait recueilli. Mais nous pouvons démontrer collectivement, par la contre-enquête populaire et des contre-médias auto-organisés, que la police assassine régulièrement, que sa violence est systémique, systématique et portée par des structures politiques, économiques et sociales. La police distribue la férocité des classes dominantes.

Paul Conge : La mort de Rémi constitue-t-elle un événement isolé, ou trahit-elle une logique plus générale de la violence policière ?

Mathieu Rigouste : Il faut replacer le meurtre de Rémi dans une histoire longue où la police apparaît très clairement pour ce qu’elle est : un appareil d’État chargé de maintenir l’ordre économique, politique et social (capitaliste, raciste et patriarcal) par l’usage de la violence.
La police sait reconnaître ses maîtres et distribue différents degrés et formes de violence selon la classe, la race et le genre des personnes qu’elle contrôle. Elle a ainsi toujours brutalisé, mutilé et tué certaines parties de la « population » de la ville capitaliste (misérables, marginaux, prostituées…). Elle entretient, dans toutes les puissances impérialistes, un rapport particulier avec les quartiers et les classes populaires les plus pauvres, avec les parties du prolétariat les plus ségréguées et les plus exploitées, généralement issues de l’immigration et de la colonisation. Elle est chargée de dominer, bannir et soumettre les couches sociales qui auraient le plus intérêt à se débarrasser de ce système parce qu’elles en bénéficient le moins.
La police tue ainsi entre 10 et 15 habitants des quartiers populaires par an en moyenne. Avec la prison et le système de harcèlement et d’occupation policière de la rue, il s’agit d’une véritable entreprise de « nettoyage social » et d’écrasement de toutes formes d’autonomie populaire.
Parallèlement, depuis le début du XXe siècle, la gestion policière des « mouvements sociaux » avait tendance à réduire au maximum les risques de tuer les strates supérieures des classes populaires, les aristocraties ouvrières, les classes moyennes et les petites-bourgeoisies précarisées et radicalisées.
Le meurtre policier de « militants » reste jusqu’aujourd’hui exceptionnel face à l’industrie des meurtres policiers des non-blancs pauvres. Mais les figures de Carlos Giuliani, tué par la police à Gênes en 2001, et d’Alexis Grigoropoulos, tué à Athènes en 2008, montrent que l’assassinat policier de « militants » tend à se développer à mesure que la restructuration néolibérale et sécuritaire du capitalisme opère.
Comme tous les crimes policiers dans les quartiers, le meurtre de Rémi n’est pas une « bavure », pas un dysfonctionnement, mais bien le produit de mécaniques instituées, de formations rationnelles, de tactiques et de stratégies légitimées et justifiées du haut de l’appareil d’État jusque dans les gestes des exécutants policiers, c’est un meurtre d’État, prémédité par la mise en œuvre des structures qui l’ont rendu possible, un assassinat.

Paul Conge : Au Testet, CRS et gendarmes sont quasi omniprésents. Comment comprenez-vous le rôle de la police sur le site du barrage de Sivens ?

Mathieu Rigouste : La police applique des tactiques et des stratégies établies à l’intersection des pouvoirs politiques, économiques et sociaux. Tant que les industriels et les gouvernants qui investissent dans ce projet de barrage considèrent que « ça vaut le coût » de continuer, malgré la diversification et la montée en puissance des résistances collectives, la police augmente l’intensité répressive. Face aux ZAD et à leurs formes de reterritorialisations des luttes urbaines et rurales, les polices occidentales expérimentent aussi de nouveaux dispositifs de contre-insurrection hybrides et modulables, c’est-à-dire où la dimension militaro-policière du quadrillage, de l’enfermement et de la provocation est centrée sur un théâtre d’opération rural et forestier, mais est aussi capable de passer rapidement voire simultanément en mode « Azur » (action en zone urbaine). Capable de passer instantanément du « maintien de l’ordre » au « contrôle des foules », de la répression policière à la guerre de basse intensité.
C’est l’occasion d’expérimenter ces dispositifs, mais aussi de les mettre « en valeur » médiatiquement, c’est-à-dire de faire d’une expérience de répression la vitrine d’une « excellence » du « savoir-faire français » en direction du marché international de la sécurité et du maintien de l’ordre. L’hybridité des doctrines, des matériels et des personnels constitue une valeur ajoutée très forte sur le marché de la défense et de la sécurité. La contre-insurrection repose aussi sur des méthodes d’action psychologique, parmi lesquelles des protocoles visant à diviser les résistances en désignant des « ennemis intérieurs » dont il faudrait se méfier voire purger. En l’occurrence, la figure des « casseurs » et des « violents » (« le braqueur furieux » dans le cas de Timothée Lake) permet de diaboliser les actions directes non conventionnelles, de masquer la violence structurelle du pouvoir et de promouvoir face à cela des mobilisations inoffensives et facilement gérables.
Les doctrines de contre-insurrection appellent ce mécanisme « schismo-genèse » : développer un schisme, une séparation dans la « population » résistante. Cette forme d’« action psychologique » rénovée repose sur l’existence de caisses de résonance pour cette propagande dans les médias dominants et parmi les appareils politiques et syndicaux supplétifs. Au Testet comme dans les quartiers populaires, la police est chargée de soumettre tout ce qui résiste à l’expansion du système impérialiste. Elle doit balayer tout ce qui gène le mouvement de conquêtes ainsi que les programmes de déplacements et de dépossession des territoires et de leurs habitants, que le capitalisme met en œuvre pour se restructurer.

Propos recueillis par Paul Conge
http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-conge-0



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katz

le 23 novembre 2014
Je suis une militante anarchiste. J'ai participé au lancement de Radio Libertaire et lutté contre sa saisie en 1981n avec Julien Roger, Almudena, Tid et d'autres. J'ai monté le groupe anar de Versailles avec Roger, Pupuce et compagnie. Aujourd'hui, je vis à Toulouse. Cette nuit; mon ami Jacques Lamy a été arrêté à Toulouse Gramont par la gendarmerie;
Compagnons, je vous en prie, lancez un appel sur les ondes. demandez à ce que Jacques Lamy soit relâché immédiatement, sans pénalités.
Merci !!

Amitiés libertaires
Karina