Du pourrissement de la psychiatrie : lutte à l’HP de Caen

mis en ligne le 16 octobre 2014
1752HPDepuis maintenant plus d’un an, les salariés de l’hôpital psychiatrique de Caen sont en lutte contre des réformes économico-politiques qui, par là même, tendent à imposer une idéologie libérale et à asseoir un capitalisme toujours plus monstrueux. Et ce sont ces mêmes réformes que subissent l’ensemble des hôpitaux et qui participent de la même volonté. Celle de la destruction du service public au profit du privé et du lucratif, celle de la concurrence effrénée entre les institutions, celle de l’uniformisation des pensées et des pratiques et enfin celle de l’administration rationnelle et utilitariste du vivant.
Comme tout bon syndicat qui se respecte, la CGT et SUD de l’HP de Caen s’opposent toujours aussi fermement à la dictature de l’État qui subrepticement ordonne ces réformes via des directeurs orgueilleux et surdéterminés. Il s’agit de la suppression de 30 postes, de la liquidation de 5 RTT, de faire payer certaines consultations, ou encore de mettre en place des chambres payantes. Pour cela, ils bloquent avec l’aide d’un paquet de salariés (jusqu’à 300 pour certaines actions) les instances qui sont nécessaires à l’application desdites mesures.
Justement, début septembre, il y en avait une convoquée à l’Agence régionale de santé (ARS) — sorte de bunker administratif impénétrable, alors que jusqu’à maintenant toutes les instances se déroulaient à l’hôpital.

Actions
Les salariés ont alors décidé de bloquer les admissions au sein de l’hôpital. En fait, pour être précis il faut parler de filtrage, car les gens en lutte qui tenaient un piquet de grève quotidien de 7 heures à 23 heures laissaient rentrer un bon nombre de patients, qui pouvaient également rentrer la nuit.
Malgré tout, cela créa des problèmes en amont et notamment au sein des urgences psychiatriques du CHU de Caen qui, après quelques jours de grève, se sont vite trouvées saturées. L’ARS a donc envoyé ses sbires pour inspecter et faire pression sur les salariés des urgences qui étaient largement solidaires du mouvement syndical. C’est à ce moment-là que les bien-pensants se sont « désolidarisés » du mouvement, mettant en avant une compassion dépolitisante et une indignation sans perspective historique du conflit. En plus de ce « piquet de grève filtrage », il faut relater des actions à l’extérieur de l’hosto (rassemblement à l’ARS, manifestation, die-in, diffusion de tracts sur les marchés), une belle autoréduction du self (180 repas gratuits) et l’occupation des locaux de l’administration.

Les petits-bourgeois et autres moralistes de rez-de-chaussée
Ainsi, tous les penseurs « courtermistes » s’offusquent dans une compassion aiguë pour les quelques patients « pris en otage ». D’ailleurs dans ce cas, comme dans tous les autres, ne serait-ce pas à eux d’avoir le dernier mot.
Le soin à bon dos car, lorsqu’il est mis à sac par l’État et ses administrateurs du désastre, personne ne moufte ni ne déballe une éthique de façade. Mais lorsqu’il est mis entre parenthèses par quelques travailleurs (ayant également une éthique professionnelle ou du soin), afin de s’opposer à une idéologie mortifère ou à une destruction d’acquis sociaux, alors c’est la gabegie !
Quelles sont les priorités ? Que quelques personnes soient soignées ailleurs que dans leur hôpital de référence pour quelques jours ou bien que ces mêmes personnes ne soient plus aussi bien soignées (ou plus du tout) pour les années à venir ?
Plus aussi bien car on dézingue la qualité des soins en amputant directement les moyens qui permettent le soin psychique ou qu’on fragilise davantage les soignants qui sont de plus en plus des soignés (ou plus du tout car on renforce une médecine à deux vitesses).
Bref, l’ingéniosité de ces moralistes de bon aloi est franchement incroyable, car au final ils réussissent à ne pas être solidaires de celles et ceux qui se battent pour défendre quelques acquis arrachés à la classe dirigeante en des temps plus… combatifs.

La position des médecins
La plupart des médecins représentent tout à fait ce genre de personnes qui hurlent contre les méchants bloqueurs. Les technocrates de l’ARS de Basse-Normandie s’en réjouissent : la plupart des médecins sont mous du ventre. Et tandis que certains tirent à gauche, que d’autres tirent à droite, la partie du centre se débat pour un œcuménisme flasque et un consensus faiblard et inaudible. Et évidemment, la majorité s’en fout complètement. Résultat, le directeur a un boulevard pour avancer ses pions.
Mais en attendant il préfère se planquer dans les locaux de l’ARS qui sont toute l’année en « plan vigipirate écarlate » et qui lui sont affectés spécialement en ces temps de conflits sociaux. Aussi, les médecins sont pour des négociations et s’obstinent dans cette direction bouchée par la direction depuis le début. Les négociations qu’ils souhaitent sont presque celles que demande la CFDT et qui consistent à choisir la scie qui coupera la branche sur laquelle nous sommes assis. Ils se posent en tant qu’arbitres, gestionnaires et garants du bon déroulement du conflit qu’ils considèrent comme étranger à leurs intérêts de classe et de corporation.

La fin du conflit grâce à la justice de classe
C’est donc en toute logique que les syndicats, malheureusement pas du tout dépassés par les salariés, reconduisent les piquets de grève jour après jour. Sauf qu’après plus d’une semaine de tension c’est la dégringolade. La direction de l’hosto a assigné en référé lesdits syndicats devant le tribunal administratif. À peine 48 heures pour préparer une défense et le verdict tombe.
Chaque syndicat doit payer 1 000 euros à la direction et, si un nouveau rassemblement est appelé devant des instances ou gênant les admissions, c’est 1 000 euros par personne et par jour de présence. Dans le jugement, le flou règne autant dans l’espace que dans le temps à propos desdits rassemblements. Un appel a été déposé au Conseil constitutionnel, mais le délai de réponse est de plusieurs années.
Donc, en attendant, rien ne se passe ? On se demande pourquoi l’État laisse encore la possibilité aux syndicats d’exister ? En effet, dès que le rapport de force est en leur faveur, la justice bourgeoise les condamne lourdement, ne laissant guère de possibilité de poursuivre les hostilités. Ou bien il faudrait ruser, saboter, incendier, etc., pour montrer de quel bois on se chauffe…

Quelles perspectives ?
Ce qu’il y a de rageant dans ce combat, c’est que quasiment rien n’est débattu en termes de perspectives de luttes, de résistances et d’alternatives aux obligations de l’État thérapeutique. Nous sommes dans un jus quotidien bien trop aliénant pour cela. Par conséquent, quasiment rien n’émerge sur le fond politique alors que nous ne partons pas de rien (collectifs antipsy, mouvements infirmiers, etc.) et qu’il y aurait tant à dire et à débattre.
Ces temps de lutte collective ne devraient-ils pas être aussi l’occasion de discuter des logiques qui sous-tendent les réformes gouvernementales, de l’idéologie libérale et autoritaire qui s’amène avec la santé mentale ? Ne serait-ce pas l’occasion de trouver d’autres formes de soins qui échappent aux contraintes économiques, aux hiérarchies néfastes, et aux contrôles chronophages ? Ne serait-ce pas le temps de faire du lien avec les autres luttes locales, nationales, voire internationales (le gouvernement grec vient de fermer les deux plus grands HP du pays mettant en avant des arguments antipsychiatriques… !) et surtout de laisser la place aux psychiatrisés ?
Aussi, il est à déplorer que la lutte se soit cantonnée à l’enceinte hospitalière et qu’aucun pont n’ait été fait avec les boîtes ou les autres structures sanitaires du coin. Et ce n’est pas avec des manifestations traîne-savates bien encadrées par les centrales syndicales (comme celle qui eu lieu à Paris contre « l’hôstérité » le 23 septembre dernier) que le gouvernement va plier. Il est donc nécessaire de continuer à œuvrer pour la solidarité entre les travailleurs mêmes et les autres pauvres enragés et pour la convergence des luttes et autres actions et sabotages simultanés…

J. M.-H.