L’hôpital public démantelé de l'intérieur

mis en ligne le 6 novembre 2014
Le centre hospitalier universitaire de Rouen (CHU) est totalement gangrené de l’intérieur. La vermine qui l’attaque est nourrie par la complicité des pouvoirs politiques mais aussi de l’administration et notamment par l’Agence régionale de santé (ARS). L’ARS programme la suppression de plus de 80 lits au CHU de Rouen, dont une quarantaine à Bois-Guillaume (banlieue rouennaise) qui seraient déjà fermés. Plus de 20 lits seront supprimés à Saint-Julien (Rouen Gauche) et plus de 12 lits également dans le service de pneumonie à Charles-Nicolle (le CHU). Le prétexte invoqué pour fermer ces lits est le manque de personnel, et pourtant la direction freine l’embauche, procède trop souvent à des licenciements et au non-remplacement des départs à la retraite. Ce qui est inconcevable, c’est que la direction de l’hôpital gère le service public comme une entreprise privée. Elle fonctionne en termes de rentabilité et de profit maximaux au détriment de la santé des patients et de celle des salariés, d’où très peu d’embauches alors que les besoins sont criants. La notion de service public est passée aux oubliettes. Le constat est alarmant car le manque de personnel et des locaux souvent vétustes font que, malheureusement, les accidents sont de plus en plus nombreux. Les premières victimes sont les patients : il y a de plus en plus d’erreurs médicales, de mauvais diagnostics. Le personnel soignant n’est pas épargné, lui aussi est en détresse. Il fait le maximum, il donne de sa personne mais, au bout du bout, il déprime et est contraint à des arrêts pour maladie. Il arrive également que cette détresse et cette déprime le mènent au suicide. Le service public hospitalier est dans un tel état de délabrement qu’il n’épargne ni les malades ni les soignants.

La médecine libérale au sein du service public hospitalier
La casse du service public est totalement délibérée. C’est ainsi que Monsieur Q. a reçu une convocation pour se rendre à un examen scannographique au CHU de Rouen (cette convocation, je l’ai en ma possession). Sur celle-ci figure juste, sous l’en-tête CHU, la mention « secteur libéral » et un numéro Finess (Fichier national des établissements sanitaires et sociaux). La direction du CHU justifie la mise à disposition de son numéro Finess au secteur libéral par un argument qui vaut par son hypocrisie. Jugez-en : « C’est pour l’amélioration du service proposé aux auxiliaires médicaux. » Plutôt que d’embaucher du personnel, les pouvoirs politiques et administratifs ouvrent toutes grandes les portes de l’hôpital public aux requins du secteur libéral. Ils peuvent donc tranquillement s’approprier tout ce qu’il y a de rentable.
Il est également précisé dans cette convocation, au cas où le patient ne comprend pas, qu’il doit prévoir un montant de 40,38 euros ou 71,16 euros, correspondant au règlement des honoraires du médecin. En fait, une fois l’examen scannographique réalisé, c’est 98 euros qui est réclamé à Monsieur Q. Ce dernier a refusé de payer en arguant que le service public de la santé avait pour mission de soigner gratuitement les patients ; que l’examen avait été fait par du personnel hospitalier et que le médecin « libéral » n’était pas présent. Après avoir discuté avec le personnel, qui a compris ses arguments, Monsieur Q. est parti sans payer, le compte-rendu de l’examen sous le bras. Par contre, le médecin ne se gênera pas pour passer à la caisse, et je pense que la recette sera fructueuse dans la mesure où, en l’espace d’une heure, c’est quasiment une quinzaine de personnes qui attendaient leur tour ! Si tous les patients réagissaient comme Monsieur Q. et refusaient d’obéir docilement à chaque fois que des décisions et des lois édictées par les pouvoirs gouvernementaux lorsqu’elles leur paraissent injustes, la désobéissance pourrait devenir un outil de lutte et ébranler l’autoritarisme des gouvernements et la certitude de ses servants. Ils permettraient d’enfoncer quelques coins dans le système capitaliste. Les politicards perdraient de leur superbe. Certes, ce type de désobéissance ne mettra pas un terme à la casse du service public, mais, s’il peut contribuer modestement à une véritable prise de conscience de la part du personnel et des patients, il viendra renforcer toutes les luttes diverses et variées qui sont menées dans le pays. Ainsi, la lutte de classes et le rapport des forces pourraient un jour ou l’autre basculer dans le camp des travailleurs et du peuple.

Un choix de classe
C’est ainsi que ce monsieur pensait être soigné par des médecins du service public, que nenni, il le sera par un médecin du secteur libéral. Ce dernier bénéficiera de toute la logistique du service public, le personnel sera à son service, et cela gratuitement. Il aura à sa disposition le matériel (scanner, locaux, lit, etc.) et le personnel administratif, secrétaire, comptable et soignant. Il n’est pas impossible qu’il soit également rémunéré en vacation par l’hôpital. Voilà de l’argent gagné facilement et sans aucun investissement, le tout avec la complicité de l’État.
La volonté des pouvoirs politiques est de démanteler le service public de la santé. L’asphyxie financière est l’un des moyens. Ils font le choix de favoriser le secteur de médecine libérale au sein même et au détriment du service public de la santé. Les choix sont clairs : pas d’argent pour moderniser l’hôpital, pour embaucher du personnel ; il faut en finir avec une médecine pour tous et gratuite. Par contre, ces mêmes pouvoirs politiques n’hésitent pas à mettre au service de la médecine libérale toutes les infrastructures du service public ainsi que le personnel.
Le ver est dans le fruit et si l’on ne veut pas qu’il l’engloutisse totalement, il y a « urgence » à faire en sorte que le personnel hospitalier, les patients mais aussi tous ceux qui se disent être les défenseurs du service public prennent conscience que les politicards sont en train de transformer l’hôpital en hospice qui accueillera uniquement les laissés pour compte du capitalisme qui n’ont pas les moyens financiers de payer, ou de nouveaux précaires qui demain se trouveront dans la même situation que les « sans dents ». Pour sauver le service public de la santé, pour permettre à tous les citoyens de se soigner, pour l’accès aux soins pour tous dans un souci d’égalité, le personnel et les patients doivent impérativement se regrouper dans des collectifs, des associations, des syndicats… Il s’agit de développer le sens de l’intérêt collectif en refusant de servir, de se mettre à la disposition des intérêts privés et libéraux afin de créer le rapport de force que permettra de sauver le service public de la santé.