ZAD à Rouen : à Rémi, à la vie !

mis en ligne le 4 décembre 2014
1757ZadRouenRouen, 7 novembre 2014, scène de western. Vendredi, 4 h 30 du matin, les « forces de l’ordre » bouclent le centre-ville de Rouen. Elles sont venues avec pas moins de vingt cars de gardes mobiles, armés et casqués. Pourquoi un tel déploiement ?
Déloger quelque chose qui fait tache dans la ville bourgeoise : une ZAD installée par une quarantaine d’occupants en plein centre-ville, devant le palais de justice, rebaptisé « palais de justesse », et ce, depuis deux jours et deux nuits. Sur requête du maire « socialiste », le préfet, lui aussi agacé, paraît-il, a envoyé ses flics balancer des bombes lacrymogènes (au poivre, bien brûlant, s’il vous plaît !) et, sans ménagement, taper sur tous ceux et celles qui ne veulent pas bouger. Ensuite, ils délogent un militant perché dans une cabane sur un arbre, là, devant le palais de justice. Il sera embarqué et inculpé pour outrage, manifesté par sa seule présence sur les lieux. Un occupant qui filmait la scène s’entend dire par un policier : « Va mourir ! » Les affaires personnelles (tentes, matériel…) seront détruites sans distinction.

Mais que faisaient ces gens, en pleine nuit, dans la rue ?
La manifestation de soutien organisée par les organisations traditionnelles, regroupées dans le Collectif des libertés fondamentales (CDLF), ne paraissait, aux yeux de beaucoup, pas à la hauteur pour dénoncer le meurtre de Rémi Fraisse, tué par la police, lors du rassemblement contre le barrage du Testet dans le Tarn. L’idée est alors apparue d’amener la ZAD à Rouen, dans le centre-ville, être visible, construire, poser des actes et aller à la rencontre de la population. En quelques heures, des cabanes sont construites, une cantine, un atelier, un salon de discussions, des tentes sont montées, puis viendront les toilettes sèches, une cabane dans un arbre. Dès le lendemain, les lycéens nombreux se mobilisent et bloquent leur lycée. C’est festif, bourré d’énergie et de brassage de gens de toutes sortes, comme dans toutes les ZAD qui ont vu le jour ces dernières années. Ces « zones à défendre », comme à Notre-Dame-des-Landes ou au Testet, sont autant de lieux de résistance contre les grands projets capitalistes destructeurs et de lieux où se réinvente la vie. Une vie où priment l’humain, l’entraide, les échanges en dehors des rapports marchands et où de petites communautés tentent de vivre dans un plus grand respect de la nature, retrouvant des gestes simples pour construire des habitats, cultiver, se nourrir. Et puis, toutes sortes d’éléments créateurs de relations sans domination, réinventant les assemblées, les médias libres, les pratiques collectives, intégrant le poétique dans le vital, dans une lutte sociale qui se veut connectée aux autres, de No TAV aux Chiapas, en passant par les places Tahrir, Maiden, Ocupy Wall Street ou le quartier d’Exarchia à Athènes… Tout cela pourrait sembler idyllique, mais les limites des expériences alternatives sont bien là : « Comment vivre avec ses propres règles, fussent-elles plus justes, en société capitaliste ? Comment essaimer pour ne pas s’enfermer et mourir sur place ? Comment s’organiser et construire, alors que certains de ces projets semblent abandonnés, grâce au rapport de force installé, mais que la volonté d’occuper reste ? » Il n’empêche, les ZAD valent le coup d’être connues, vécues et défendues, améliorées et réinventées, c’est le choix qu’ont fait ces occupants rouennais.

La police mutile et tue !
L’autre volet, bien sûr, c’est la violence. D’abord celle de l’État, prêt à tout pour honorer ses contrats avec les grandes entreprises destructrices que sont Vinci, EDF et compagnies. Prêt à envoyer des policiers suréquipés, n’hésitant pas à avoir recours aux armes de guerre, prétendues non létales, qui mutilent (trois manifestants ont perdu un œil suite à un tir de flashball en février dernier à Nantes) et qui tuent ! Rémi Fraisse, au Testet, après Vital Michalon, à Creys-Malville, lors d’une manifestation contre le surgénérateur nucléaire Superphénix, en 1977, est l’une des victimes de cet État policier. Le capitalisme, qui n’arrive plus à s’imposer à tous par l’appât de la consommation et la « fabrique du consentement » orchestrée par les médias, arme l’état pour demeurer coûte que coûte la seule alternative économique possible.
Rêveurs, bricoleurs de cabanes, mauvais consommateurs et mauvais producteurs, terrez-vous ! Cette extrême violence policière est au cœur des ZAD, elle peut servir de détonateur et d’effet coagulateur des luttes. Mais elle n’en est jamais la fin. La violence est d’abord du côté de la police. Venir casqué ou masqué aujourd’hui dans une manifestation, c’est tout simplement sauver sa peau.

Porter la contestation dans la ville
Le petit texte d’appel rédigé le premier jour (voir ci-dessous) est intitulé « Ils tuent, occupons ! » et mentionne : « Nous ne revendiquons rien. » Cela peut paraître contradictoire, pour les gens habitués à demander l’amélioration de ceci, cela, l’annulation de telle ou telle mesure… en allant quémander auprès des élus et des représentants. Mais peut-on demander qu’il y ait une bonne police, une bonne justice, un bon capitalisme ? Alors qu’ils ne servent que pour entretenir cette société mortifère et inégalitaire, l’ordre établi sur une morale de guerre et de profit, au mépris de la vie ? Ne rien revendiquer, c’est remettre en cause la légitimité de ces élus et de leurs lois, c’est poser un acte politique fort qui pourrait être : un droit ne se quémande pas, il se prend.
Cette façon de se poser en dehors du champ revendicatif classique et de porter la radicalité dans la ville n’est certes pas du goût de l’état et des municipalités, mais pas non plus du goût des partis (y compris d’extrême gauche) et des syndicats majoritaires, qui ont vite fait d’emboîter le pas des médias pour désigner les « mauvais manifestants », associés à des « casseurs », alors qu’ils ne font que mettre en actes une autre vision du bonheur. Pour tous ceux-là, perdre le contrôle de ces mouvements est leur plus grande crainte : c’est pour cela que la ZAD de Rouen a été délogée, mais c’est aussi pour cela qu’il en repoussera de nouvelles. La colère n’a pas fini de s’étendre ! ZAD partout !

Texte diffusé sur la ZAD de Rouen
« Ils tuent, occupons ! Hier a eu lieu une marche en souvenir de Rémi Fraisse, assassiné par la police sur le site du projet de barrage à Sivens pour avoir donné corps à son refus. Malgré tous les efforts pour que rien ne se passe, nous ne nous laisserons pas intimider et nous continuerons à exprimer notre colère. Il y va de notre fidélité à Rémi, à nos luttes. Et de notre attachement à toutes les ZAD, à tous les lieux où ceux qui vivent ensemble se réapproprient leur existence et tentent d’inventer d’autres rapports au monde et au vivant. Face au palais de justice de Rouen, une cabane de palettes est apparue en cinq minutes. Nous servons des soupes chaudes. Un campement a vu le jour et nous comptons bien y rester. Nous ne revendiquons rien : c’est la possibilité même de lutter et d’envisager d’autres futurs qui est en jeu. Nous, premiers occupants, vous appelons à nous rejoindre pour discuter, élaborer la suite du mouvement, construire d’autres cabanes et manger un morceau. Un appel a déjà été lancé dans les lycées. Multiplions les actions partout où nous sommes. Montrons que, partout, d’autres mondes existent. Rendez-vous pour des assemblées tous les jours à 13 heures et 20 heures… Parlons-en. »