Les Gari : groupes d’action révolutionnaires internationalistes

mis en ligne le 6 novembre 2014
Près de Paris, le 3 mai 1974, un fait divers vient « troubler » la campagne électorale pour l’élection présidentielle. Le directeur d’une banque espagnole Banco de Bilbao, Angel Baltasar Suarez, est enlevé à proximité de son domicile. Quelques jours plus tard, en Espagne, l’enlèvement et la séquestration sont revendiqués par une organisation jusqu’ici inconnue qui se nomme Gari et qui exige de l’État espagnol la libération de prisonniers de l’ex-MIL en échange du banquier. Deux d’entre eux risquent la peine de mort par garrot, comme a été exécuté deux mois auparavant, à Barcelone, leur compagnon de lutte Salvador Puig Antich.
Les observateurs découvriront par la suite que le (ou les) Gari n’est pas une organisation de type léniniste, que ce sigle est de circonstance et que l’enlèvement est le fait d’une coordination de groupes autonomes et d’individus de la mouvance libertaire. Coordination constituée dès le mois de janvier 1974 et qui, pour revendiquer les actions qu’elle a perpétrées au cours de l’année 1974, va utiliser divers sigles, dont celui des Gari.
Si la solidarité avec les prisonniers de l’ex-MIL a été le moteur de cette coordination, les groupes autonomes qui y participent se sont constitués au fil des mois et des années qui ont suivi les événements de mai 1968.
En France, l’idée de révolution (écartant le communisme autoritaire) connaît un regain d’intérêt dans les années 1960, au cours de diverses luttes, et elle a été développée par certains groupes d’agitation, de réflexion et d’expression théorique comme Socialisme ou Barbarie (SB), l’Internationale Situationniste (IS), Informations et Correspondances ouvrières (ICO), ceux du mouvement libertaire : Fédération anarchiste (FA), Federacion Ibérica de Juventudes Libertarias (FIJL), Comité de liaison des jeunes anarchistes (CLJA), Liaison des étudiants anarchistes (LEA), Noir et Rouge 1
1968 marque un tournant et c’est dans l’effervescence qui suit les événements du mois de mai que des individus font connaissance, se lient d’amitié et s’unissent au gré des affinités. De manière spontanée, des groupes autonomes apparaissent dans plusieurs villes de France. Ils vont produire des textes, des affiches, des journaux, des brochures, tout en participant à diverses luttes. Ils revendiquent l’idée d’un changement radical de société, influencés par les idées anti léninistes, anarchistes, communistes libertaires, conseillistes, situationnistes.
«… En France, cette “autonomie” n’est absolument pas née de la décomposition de la gauche prolétarienne au début des années 1970. Elle est apparue grâce à la décomposition de l’anarchisme, surtout dans sa version fédérée, au milieu des années 1960. En avril 1967, trois groupes, le Groupe anarchiste révolutionnaire, le Groupe Makhno de Rennes et le groupe de Ménilmontant rompaient avec la Fédération – bureaucratique et dogmatique – anarchiste dans le désir de créer une organisation réellement autonome 2. À Nantes, à Nanterre (les Enragés), à Strasbourg (le groupe Luttes de Classes), les groupes autonomes se forment sur des positions antiautoritaires, anti-léninistes et font des émules. L’agitation généralisée en mai 1968 suscitera la création de nombreux autres groupes : les Vandalistes de Bordeaux, groupe fondé, il est vrai, en avril 1968, un autre groupe des Enragés localisé à Montgeron créé pendant le mois de mai. Bien après ce mois d’agitation apparaissent le Comité d’action Enragé à Evian, en 1970 ; un autre groupe à Toulouse, en avril 1970, qui lançait une “campagne des bus” visant à inciter la population à ne plus payer les transports en commun ; un groupe nommé “Conseil Autonome 71” (créé sûrement en 1969, d’après nos sources), à Strasbourg ; un groupe intitulé les “Houligans de Paris”, en 1970 ; et bien d’autres encore. Tous ont en commun de refuser aussi bien le gauchisme façon “mao-spontex” qui le vieil anarchisme dégoulinant de dogmatisme antmarxiste. Ces groupes autonomes “antiautoritaires” étaient alors influencés par les théories les plus radicales de leur temps … » (Extrait du texte « Les Mots et leur signification » paru dans la brochure Chien aboyant à la lune, février 1997).
Au début des années 1970, divers groupes ou individus autonomes tentent de se fédérer au niveau national. En 1970, des membres de communautés d’Ariège, des groupes d’Agen, de Marseille, de Montpellier, de Paris, de Toulouse… créent l’Union des Groupes autonomes libertaires. Par ailleurs, en 1971, c’est la naissance de Confrontation anarchiste qui va rassembler autour du journal des groupes de Châteauroux, Grenoble, Orléans, Paris, Strasbourg, Toulouse…
Estimant que manifestations et protestations ne suffisent pas pour contrer les projets du capital, des groupes envisagent des actions de sabotage et n’écartent pas l’hypothèse d’utiliser des armes. De la fin des années 1960 aux années 1980, on assiste au retour d’une certaine forme d’illégalisme (référence aux compagnons de la fin du XIXe siècle et début du XXe) : expropriations et propagande par le fait. En 1968, des premiers groupes interviennent à Bordeaux et à Paris. à Bordeaux, c’est un groupe de jeunes travailleurs qui est emprisonné et déféré devant la Cour de sûreté de l’État. De juin à juillet 1968, ils ont attaqué, avec des cocktails molotov, une annexe de la faculté de droit, des commissariats, un local d’un parti de droite. à Paris, en décembre 1968, un autre groupe fait exploser quelques façades d’établissements bancaires, à l’aide de charges artisanales déposées dans les boîtes aux lettres. Au début des années 1970, d’autres groupes se forment et s’arment, ce qui va permettre, lorsque la situation l’exigera, d’envisager une solidarité concrète et d’agir.
Les Gari sont l’un des fruits de l’après-Mai 1968, issus de ce bouillonnement et des lies tissés au gré des affinités entre divers individus et groupes.
Les éléments déclencheurs de cette coordination Gari sont les incarcérations en Espagne en septembre 1973 de membres de l’ex-MIL et surtout de la condamnation à mort de l’un d’entre eux, Salvador Puig Antich. Il est donc important d’en dire un peu plus sur le MIL 3 et de rappeler ce qu’il était quand de nombreuses informations erronées circulent à son propos.

Tiburcio Ariza et François Coudray





1. Pour en savoir plus sur cette période et sur les relations internes lire La FA et les situationnistes 1966 et 1967 de Guy Bodson, première publication en 1970, réactualisée jusqu’en 2003 et Les Situationnistes et l’anarchie de Miguel Amoros, éditions de la Roue, 2012. Sur l’avant- et l’après- 68, lire Mouvements situationnistes. Une histoire intellectuelle de Patrick Marcolini, Editions L’Échappée, 2012. Et, malgré des erreurs historiques sur le MIL, les Gari…, L’insurrection situationniste de Laurent Cholet, Editions Dagorno, 2000.
2. Création de l’Internationale anarchiste dont l’existence sera de courte durée.
3. Pour approfondir, lire Mouvement Ibérique de Libération, mémoires de rebelles de Jean-Claude Duhourcq et Antoine Madrigal, éditions Acratie, juin 2007. Pour ce document, nous avons puisé toutes les informations (arrestations, procès) concernant le MIL dans l’ouvrage du Cras.