Éducation, sortons du rang !

mis en ligne le 12 février 2015
Faible mobilisation du monde de l’éducation en ce début d’année. Il faut dire que l’appel à la grève de la FSU, principale organisation syndicale, a été très discret. Les raisons de manifester ne manquent pas cependant : conditions de travail, formation, salaires. Malgré les promesses de campagne, le compte est loin d’y être.
Et si l’école est revenue sur le devant de la scène dernièrement, c’est suite aux attentats contre Charlie Hebdo, pour pointer le « manque de civisme » de certains élèves, la « cassure » entre la république, ses prétendues valeurs et les jeunes. Ce discours s’accompagnant de la nostalgie du service militaire qui « cimentait » la nation derrière son drapeau et son hymne guerrier et revanchard.

L’école n’est pas la caserne
Contrairement à ce qui a été dit, les enseignants travaillent tous les jours autour des notions de respect et de différence. Ils et elles sont dans une attitude de bienveillance avec leurs élèves. Bien sûr, on trouvera toujours des cas limites, mais c’est plutôt le système éducatif en tant qu’institution inégalitaire, violente et hiérarchisée qui met en difficulté les personnels, les élèves et les parents.
Les plans Vigipirate transforment les écoles en camps retranchés. Les aménagements des collèges et lycées se font souvent sur la base de nouvelles grilles sécurisées, de vidéo-surveillance, etc.
L’armée uniformise les gens, les embrigade. Certains voudraient remettre l’uniforme en classe et former les élèves à être de bons citoyens : voter, obéir aux lois.
Ainsi, on réinstaure l’enseignement moral et civique. Cela se traduit très souvent par l’apprentissage de La Marseillaise, des institutions de la Ve République, des droits et du respect de la loi. Ces mots sont dans le projet du Conseil supérieur de l’éducation – on retrouve aussi les principes d’autonomie, mais aussi de discipline, de coexistence des libertés, de communauté des citoyens –, mais on parle aussi d’« une école à la fois exigeante et bienveillante qui favorise l’estime de soi et la confiance en soi des élèves, conditions indispensables à la formation globale de leur personnalité. Cet enseignement requiert de l’enseignant une attitude à la fois compréhensive et ferme. À l’écoute de chacun, il encourage l’autonomie et l’esprit de coopération. Il veille à éviter toute discrimination et toute dévalorisation entre élèves ». C’est beau, mais que dire alors d’une société qui, elle, fonctionne sur les discriminations, sur la compétition, l’aliénation ? Peut-elle promouvoir, à travers son école, des valeurs qui lui semblent étrangères en tous points. L’école serait-elle un îlot de paix dans un univers de violence sociale ?
Certes, à l’école, il s’agit d’enfants qui n’ont pas à subir les violences de la société, la violence des rapports sociaux, de l’exploitation, de la discrimination. Pourtant, les élèves et leurs parents vivent tous les jours dans cette société inégalitaire. Malheureusement, la misère, les problèmes, le racisme ne s’arrêtent pas à la porte des écoles.
Dans ce registre, les appels à « sanctuariser » l’école peuvent nous alerter, en tous cas nous interroger.

L’école n’est pas l’église
Suite aux attentats contre Charlie Hebdo, les meurtres des caricaturistes et des clients de l’épicerie casher, le gouvernement a estimé qu’il fallait renforcer la laïcité, c’est-à-dire introduire l’enseignement du fait religieux. Drôle de conception de la laïcité.
Il y a eu la mise en place d’une charte de la laïcité, affichée dans les écoles, dont on peut interroger les effets.
Dans les écoles, il y a déjà l’enseignement de l’histoire des religions. L’idée générale serait qu’il faut connaître les différentes religions pour les respecter. Si on peut s’entendre sur cette notion d’histoire des religions – en s’interrogeant quand même sur le fait que l’on traite de l’islam au début du collège, histoire de calmer les jeunes d’origine étrangère en leur renvoyant des principes auxquels ils devraient être soumis et les enfermant ainsi dans une « identité culturelle » fantasmée – nous faisons une claire différence avec l’enseignement du fait religieux. Va-t-on assister à des cours de religion ? Quelles sont les personnes qui vont intervenir ? Les enseignants ? Quelle est leur connaissance des religions, des débats et des clivages qui les traversent ? Ou alors va-t-on se satisfaire d’une conception partielle, partiale, pleine de préjugés où chaque élève sera enfermé dans une catégorie religieuse supposée ? Que vont dire nos collègues aux réfugiés irakiens chrétiens ? Comment seront-ils perçus par celles et ceux qui ont des grilles de lecture racistes et pour qui un « Arabe » (notion à géométrie variable) est forcément musulman ? Qui donnera l’opportunité aux enfants, aux jeunes, aux adultes de ne pas être définis par une appartenance religieuse, voire de s’en émanciper ?
Il faudrait, au contraire, reprendre l’histoire des idées rationalistes, démonter les mécanismes des guerres de religions, la barbarie des inquisitions, des colonisations et le racisme qu’elles véhiculent.

L’école est dans la société et fait société
L’école n’est pas un lieu fermé, dans lequel les contradictions et les violences sociales n’entreraient pas. Même si on met des barrières, des grilles, des caméras, des vigiles, etc. Les élèves viennent à l’école avec leurs problèmes, les problèmes de leurs parents, de leurs amis, de leurs voisins, avec les informations télévisées ou sur Internet, etc.
Faire de l’école un lieu serein où ses problèmes peuvent être mis entre parenthèses ou discutés, mis à distance, cela est un vrai enjeu de société, mais cela nécessite aussi d’arrêter de mettre la pression sur les enseignants, sur les élèves et leurs parents. Cela nécessite aussi que l’environnement social soit en résonance. L’éducation des enfants se fait par les parents, les associations diverses, les rencontres, les camarades et l’école. Il y a donc à créer des espaces de rencontres et de discussion pour toutes ces personnes.
L’école ne peut pas fonctionner en vase clos. Afin de changer les choses, il faut aussi parler et pratiquer ce que l’on pourrait appeler la « démocratie scolaire ». En finir avec les chefs, petits et grands, qui se transforment en gestionnaires, manageurs. Avoir des espaces de discussion, de débats au sein des classes et des établissements.
De ce point de vue, les enseignants qui ne laissent jamais de place au débat, donc chez qui les élèves n’ont pas l’habitude de la prise de parole, du respect de la parole d’autrui, de la circulation de la parole, ont dû avoir des « surprises », se sentir mal à l’aise, ne sachant que faire, que répondre lorsqu’il s’est agi de parler des attentats. De là l’incompréhension, les conflits éventuels ou le silence.
Il pourrait s’agir, selon le projet du Conseil supérieur de l’éducation, de leur donner « le goût du dialogue et de la confrontation des idées, le développement de l’esprit critique, l’intérêt porté à la recherche de la vérité ».