L’expérience communautaire italienne d’Urupia

mis en ligne le 26 février 2015
1767UrupiaUrupia est une commune libertaire qui se trouve dans la campagne de la région du Salento, dans les Pouilles, en Italie. Né en 1995, le projet est le fruit de la rencontre entre le groupe des rédacteurs de la revue Senza Patria et d’un certain nombre de militants allemands de la gauche radicale. Depuis, la commune est devenue un lieu d’expérimentation, le témoignage qu’une alternative est possible.
Dans cet article, tous les mots qui se réfèrent aux habitants de la commune (les communardes) sont conjugués au feminin. C’est un choix idéologique, contre une langue qui parle presque toujours au masculin.

Une école pour tous
La commune Urupia fête ses 20 ans en donnant naissance à une école libertaire, dans l’idée qu’une meilleure éducation, antiautoritaire, est nécessaire pour une nouvelle organisation de la société.
La réflexion sur la valeur et sur le sens de l’éducation a toujours été chère au sentir libertaire ; non seulement parce que le vécu quotidien de l’être humain – à partir de son enfance – constitue les racines du développement de la personnalité, mais aussi en vertu du lien central entre éducation et pouvoir.
L’idée d’une école à Urupia est née de la conscience que la culture (selon les multiples sens qu’on pourrait donner au terme) et l’éducation concourent de manière déterminante à la construction de l’identité individuelle. Cette réflexion nous a poussées à chercher d’autres possibilités, au-delà des plus connues, et dont nous ne sommes nullement satisfaites.
Bien plus, notre conviction est que la structure diséducative dans laquelle sont formés les femmes et les hommes du futur est organisée de manière à maintenir et renforcer l’état actuel des choses, avec ses injustices et ses absurdités.
De ce présupposé naît le rapport entre le projet de la commune et celui de l’école : Urupia fêtera ses 20 ans bientôt, vingt ans pendant lesquels nous avons vécu une extraordinaire expérience sociale, dans un laboratoire quotidien d’autogestion, dans lequel nous avons pu donner une forme et mettre en pratique les idéalités de chacun.
Voilà, du coup, à disposition de tous, un lieu concret où expérimenter de nombreuses activités, liées à la campagne (potager, jardins, oliveraies, vignes, verger, mais aussi des laboratoires de transformation comme le four et la cave), une organisation sociale qui fonctionne sur la base de principes de partage économique et de pratiques décisionnelles fondées sur le consensus, sur le dialogue et l’écoute (où l’on n’accorde pas de valeur au principe de majorité).
Le projet appartient à qui le reconnaît comme sien et il s’appuie sur un réseau de contacts, relations et forces qui constituent une possibilité précieuse et variée, avec une riche circulation de savoirs et compétences à disposition.
En tant que communarde, je considère que la très grande valeur d’Urupia réside dans le témoignage qu’une alternative est possible : à chacun de trouver la sienne et de la concilier avec celle d’autrui. Le travail est sans aucun doute long, prenant, et jamais achevé, les repositionnements sont constants et les résultats fluctuants : souvent satisfaisants, parfois médiocres et, de manière occasionnelle, enthousiasmants, fruits d’un parcours qui est une partie de l’objectif à atteindre, et même la partie la plus précieuse.
Nous sommes en effet convaincues que les relations sont déterminantes à la fois dans la pratique autogestionnaire et dans le développement de l’individualité, qui se définit grâce à l’existence et à la successive reconnaissance d’autrui, et peut par-là se développer dans un sens social et solidaire.

L’importance des petits changements
La motivation profonde qui nous pousse à tenter de donner une nouvelle nuance au parcours de la commune, qui ait pour centre les plus petits, ceux qui commencent à s’ouvrir au monde, est la même qui a donné naissance à Urupia : le désir de changer cette petite partie du monde sur laquelle on pose nos mains et nos pieds, nos cœurs et notre intelligence.
Ce que la commune peut offrir, outre le désir individuel de ceux qui ont choisi de s’engager en première personne dans cette aventure, est la possibilité de bénéficier de ce que nous avons construit dans le temps, non seulement grâce à l’engagement des communardes, mais aussi des amis qui nous ont soutenues et aidées pour que la commune se développe et grandisse.
Cette perspective est nouvelle puisqu’elle prévoit un accroissement ultérieur de l’ouverture de la commune, non seulement parce qu’il s’agit d’un projet ouvert aux enfants du territoire, et donc aux familles, mais aussi parce qu’aux côtés d’une communarde engagée en première personne dans le projet seront présentes, en tant qu’accompagnatrices, deux amies de longue date qui n’appartiennent pas au groupe des communardes. À leurs côtés, il y aura un hôte qui a demandé de participer activement au projet ; sa demande a été accueillie avec enthousiasme pour la diversité que sa présence introduit dans le groupe: un jeune homme aux côtés de trois femmes. La multiplicité des formations, origines et histoires vécues par les accompagnateurs et les accompagnatrices représente une richesse que l’on veut offrir et mettre en valeur.

Le sens de l’autogestion
De même, il nous semble essentiel de reprendre le parcours autogestionnaire à l’intérieur de l’école, devenue dans notre organisation sociale l’institution qui centre sur soi la tâche éducative et préparatoire à l’entrée en société pour les enfants, garçons et filles: dans cette perspective, il est rare que l’existence de l’école d’État soit mise en discussion, puisqu’elle est généralement identifiée comme la seule école publique, pensée comme garantie des diversités existantes et point de repère pour les communautés.
Bien que cela soit évident – et cet article n’est pas l’occasion d’analyser les limites, les hypocrisies et les problématiques du système scolaire actuel –, l’idée d’un parcours de croissance par l’autogestion est pour nous fondamentale, en vertu de la valeur que l’on reconnaît à l’implication directe des protagonistes, petits garçons et filles, et des adultes qui ont choisi d’y consacrer leur temps, leur énergie, leurs pensées et, bien que ce soit rhétorique, leur amour.
La communauté éducative qui vient à se constituer se fonde sur un intérêt réciproque pour une croissance sociale collective, dont le nœud central est le développement de la personnalité de chaque individu (et les adultes ont le même désir… puisqu’on ne finit jamais d’apprendre) : un contexte qui invite à découvrir et à faire l’expérience de ses talents, où la réalisation de ses désirs n’est pas en conflit avec la satisfaction des désirs d’autrui, puisque la satisfaction de l’individu représente une richesse pour l’harmonie de la communauté. Les conflits, qu’ils soient potentiels ou certains, sont vus comme des occasions d’échange et de croissance : l’expérience d’Urupia, et d’autres communautés, nous montre qu’il n’est pas toujours possible de tout résoudre, mais les difficultés nous aident à nous apercevoir de nos propres nuances, qui rentrent constamment en jeu dans nos relations, et constituent notre contexte social quotidien.
Que faire de la conscience acquise sera le choix de chacun, et nous croyons que le fait d’exercer depuis l’enfance la capacité d’agir activement avec son environnement – dans une juste proportion selon l’âge – est un exercice fondamental pour grandir avec la conscience de sa propre valeur et la capacité de la revendiquer dans le cas où elle serait menacée.

À chacun selon ses désirs
La connaissance et l’apprentissage concernent, pour nous, aussi le domaine des désirs ; pour ce qui concerne les matières, l’approche sera personnalisée selon les désirs, les intérêts et les nécessités de chacun, sans oublier l’importance d’une culture générale vaste et riche. Il faut cependant que ce savoir soit vécu, qu’il soit reconnaissable et qu’il n’ait pas hâte de se réaliser : ainsi seulement il pourra se réaliser et être efficace.
La commune dispose d’une terre, 25 hectares de campagne, avec toutes ses caractéristiques : nous ne serons donc pas obligées de « reproduire » les activités souvent proposées dans les organisations scolaires pour les rendre accessibles aux enfants qui, autrement, n’auraient pas la possibilité de les pratiquer. Les structures de la commune offrent déjà beaucoup de possibilités, y compris l’usage d’installations qui ont un impact environnemental limité, comme le photovoltaïque, le solaire thermique et la phytoépuration pour les eaux domestiques.
La vie en plein air est un de nos objectifs principaux, même dans l’enseignement de matières traditionnelles comme les mathématiques et l’italien.
L’école a ouvert ses portes en septembre ; pour le moment, neuf enfants font partie du groupe ; ils ont entre 3 et 9 ans, un seul est fils de la commune. Les espaces à notre disposition ont été restructurés grâce à un héritage reçu par un communard et grâce au soutien économique et manuel d’un grand nombre de camarades qui ont eu confiance dans le projet et ont décidé de nous soutenir concrètement.
Notre défi actuel est celui de la pérennité financière ; la disponibilité d’un lieu est déjà une garantie importante, mais reste encore à définir la question du remboursement pour les accompagnateurs et celle de la fourniture de quelques matériaux nécessaires à la vie de l’école : tant que les nombreuses expériences de pédagogie libertaire pourront compter seulement sur les énergies de quelques parents, la condition financière des accompagnateurs sera toujours à la limite de la survie.
De la même manière, il sera essentiel de dégager la participation des enfants au projet de la contribution économique des familles : les temps sont durs, mais nous sommes convaincues que les pratiques solidaires peuvent être d’une grande aide, et que l’engagement personnel est une vraie opportunité, se transformant ensuite en patrimoine collectif.
L’expérience d’Urupia, et pas seulement, nous montre qu’un nombre toujours croissant de personnes se sont aperçues que tout espace de résistance, indépendamment de sa position géographique, représente une réalité gênante pour le système et peut être utile pour remettre en discussion et démonter une réalité d’abus et de privilèges d’une minorité aux dépens de la majorité. Et que cette situation devient de plus en plus intolérable.

Thea Venturelli
Traduit par Sara Gomel



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le 28 décembre 2015
Forza Puglia.