Chiapas : à l’école du zapatisme

mis en ligne le 12 mars 2015

Le Monde libertaire se fait régulièrement l’écho de l’actualité des luttes qui ont pour épicentre la région des hautes montagnes du Chiapas, au Mexique. On ne présente plus le zapatisme dans ces colonnes. Par contre, on peut parler de la Petite école zapatiste et de sa description dans un livre paru tout récemment : Enseignements d’une rébellion.
Ce livre au format de poche, dont les bénéfices de la vente reviennent aux organismes zapatistes, est composé de trois parties d’auteurs différents. Les premières pages sont signées de Guillaume Goutte. Elles sont un journal quotidien de sa propre participation à la Petite école zapatiste, en août 2013, avec mille trois cents autres élèves. Accueilli et conduit, dans les livres comme dans les champs, par José Martinez, son « votán », il utilise son bon sens de l’observation pour décrire son voyage et son séjour. Rien n’a échappé à Guillaume : tout y est décrit et analysé avec un recul qui aide le lecteur à comprendre l’objectif de la Petite école zapatiste. S’il s’agit avant tout d’expliquer les valeurs et les modes d’organisation tant villageois que politiques du mouvement zapatiste au Chiapas, on s’aperçoit que chaque situation quotidienne s’inscrit dans cette perspective d’apprentissage. La patience, lorsque les distances, à pied ou en véhicule, s’expriment en heures et en ampoules au pied, ou que les déclarations de bienvenue sont traduites en tsotsil puis en tseltal ; l’humilité, lorsqu’il s’agit de porter des sacs d’épis de maïs ou d’être accueilli et avoir pour « maestro » un paysan mexicain lorsque l’on se définit soi-même comme un « fils de la classe moyenne »…
La deuxième partie de l’ouvrage, « La contagion de l’autonomie », est plus analytique, et se lit comme un complément bienvenu au travail descriptif de Guillaume Goutte. Là, c’est Jérôme Baschet qui est l’auteur. Il est connu pour ses contributions solides au zapatisme 1 et assista, lui aussi, à la première session de la Petite école, en août 2013. Sa connaissance du mouvement et de l’histoire des zapatistes lui permet d’avancer que cette expérience est à la fois un processus d’apprentissage de l’expérience de l’autonomie et une logique de partage. Les « votán » sont ainsi à la fois des personnes singulières, porteuses de leur propre histoire, et les porteurs du patrimoine collectif zapatiste. Ils sont l’expression d’une alliance singulière de la force collective et de l’affirmation individuelle d’êtres humains qui veulent toucher le cœur des « élèves ». Abordant aussi le sujet des enseignements « relatifs », Jérôme Baschet parle également des contradictions du mouvement, ses recherches-actions. La constitution du « mandar-obedeciendo » (commander en obéissant) autant que le rôle du Comité clandestin révolutionnaire indigène ou de ses commandants dans les décisions des caracoles sont évoqués. Dans ses remarques finales, l’auteur explique : « Toutefois, […] la logique de l’autonomie, en tant que construction par en bas et hors des structures de l’état, peut être mise en œuvre ailleurs, sous des formes multiples, adaptées à la diversité des situations concrètes. »
La dernière partie du livre est écrite par le compañero maestro Galeano, à qui l’ouvrage est dédié ; il fut assassiné le 2 mai 2014 par des paramilitaires. Là, c’est le « votán » qui donne son point de vue sur ce qu’il a partagé, et c’est sa sincérité qui touche lorsqu’il dit l’enthousiasme réciproque du partage.

 

1. Son dernier livre s’intitule Adieux au capitalisme, éditions La Découverte, Paris, 2014.