La section italienne de la colonne Ascaso

mis en ligne le 12 mars 2015

Une fois encore l’Espagne, juillet 1936, une fois encore le coup d’état, la rébellion des militaires, la résistance d’un peuple et le partage du pays en deux zones distinctes, d’un côté le fascisme, de l’autre l’Espagne libertaire, car, en 1936, le bel été de l’anarchie est encore la promesse d’un monde nouveau, plus juste, plus libre, plus égalitaire.
Mais le livre d’Alba Balestri n’est pas une redite de la toujours même histoire, dans cet ouvrage documenté qui est aussi un hommage à son père Nino, Alba évoque, une fois n’est pas coutume, la section italienne rattachée à la fameuse colonne Ascaso, l’une des colonnes anarchistes qui défendirent la république à l’été 1936, au moment où les franquistes croyaient encore en une victoire facile et rapide.
Bien avant les brigades internationales, dès juillet 1936, de nombreux étrangers, anarchistes, socialistes, quelques communistes anti-autoritaires et des antifascistes de tous bords se joignent aux colonnes pour défendre leur idéal de liberté. Les exilés italiens qui subissent le joug de Mussolini depuis 1922 sont parmi les premiers à s’engager. Ils viennent le plus souvent de France. « Nous avons appris par les journaux que Mussolini était intervenu en Espagne et nous avons dit, nous à Paris, bon sang ! Voilà maintenant nous avons notre terre pour mettre à genoux Mussolini. » C’est en quoi la guerre d’Espagne est un conflit européen opposant, dans les premiers mois, deux conceptions radicalement opposées de la politique et de la vie, d’un côté les fascismes, de l’autre le socialisme de l’UGT et l’anarcho-syndicalisme de la CNT largement majoritaire en Catalogne à l’été 1936.
Opérationnelle dès le mois d’août, la section italienne va monter au combat dans les environs de Saragosse. L’intérêt du livre d’Alba est non seulement de suivre en détail les opérations de la section, mais aussi de vivre en son sein et d’y voir à l’œuvre les mêmes dissensions politiques qui, au final, devaient aboutir à la catastrophe et à la prise de pouvoir du Parti communiste sur la révolution espagnole.
En effet, le commandement de la section échoit à un célèbre antifasciste, Carlo Rosselli, qui a souhaité dès le début, mais sans succès, une colonne nationale et indépendante de la CNT. À l’inverse, les anarchistes italiens, majoritaires dans la section, sont internationalistes et veulent combattre indistinctement avec leurs frères d’armes espagnols, français, allemands.
La vie de la colonne se partage entre quelques combats brefs, violents, meurtriers, en août 1936 puis à l’automne de la même année, où les victoires fêtées du début font place aux défaites, aux trahisons communistes, au désenchantement, à l’humiliation qui aboutira à la dissolution de la section en avril 1937. Cette descente aux enfers pour Nino et les autres suit exactement la décision de militarisation des colonnes anarchistes et l’intervention soviétique.
Comme pour les autres colonnes qui refusent l’appareil de contrôle communiste, le quotidien des Italiens deviendra compliqué, manque de ravitaillement, matériel obsolète, renforts inexistants. Les événements de mai 1937 à Barcelone se solderont par l’assassinat pur et simple, par les staliniens, de plusieurs centaines de militants anarchistes, parmi lesquels plusieurs chefs de la section italienne, d’autres finiront en prison, d’autres enfin, comme Nino, comprenant que le combat des staliniens n’est pas le sien, que la devise de la section italienne : « Le monde entier est notre patrie, notre loi, la liberté » ne serait jamais celle des communistes, repasseront la frontière. »
C’est cette histoire, belle et tragique, à laquelle nous convie Alba Balestri.

Thierry Guilabert