Barcelone 1931 : la grève des loyers

mis en ligne le 12 mars 2015

Une fois n’est pas coutume, la recension qui suit concerne un ouvrage rédigé en castillan 1 ; toutefois, il m’a semblé intéressant de signaler sa parution à celles et ceux qui maîtrisent un tant soit peu la langue de Cervantes, sans attendre une éventuelle traduction en français. C’est que la lutte axée autour de l’habitat des classes populaires en 1931 à Barcelone a de très fortes résonances dans les mouvements Okupas et squats d’aujourd’hui, pas seulement en Espagne, mais dans toutes les grandes métropoles internationales. L’auteur du livre, Manel Aisa Pámpols 2, retrace les différentes phases et formes de ce combat contre la cherté des loyers, ainsi que l’histoire du Comité de défense économique de la branche du bâtiment (CNT), les pratiques de « démocratie directe » et le choix des actions préconisant pour les sans-emploi de refuser de payer leur loyer, et pour ceux qui travaillaient de n’en payer que la moitié. L’auteur, Manel Aisa Pámpols, nous présente un livre de mémoire et de lutte, sauvant par là une page d’histoire de la Barcelone rebelle.
Cette grève des loyers de 1931 se déroule dans un contexte de crise du système ; la neutralité de l’Espagne durant la Première Guerre mondiale avait permis à la bourgeoisie catalane de s’enrichir avec le développement industriel de la région. S’en était suivie aussi une politique de grands travaux (construction à Barcelone de la place d’Espagne, urbanisation de Montchuich, création de lignes de métro, restructuration des grandes artères), ce qui nécessita de faire appel à une forte immigration en provenance des autres régions d’Espagne. La fin de tous ces grands travaux coïncida avec la crise de 1929. Le travail se fit plus rare et le nombre de chômeurs et d’indigents grimpa en flèche. Face à cette situation, le syndicat CNT du bâtiment créa le Comité de défense économique. Le 1er mai 1931, les anarcho-syndicalistes de ce comité allèrent présenter une série de revendications au nouveau président de la Generalitat de Catalogne (la république venait d’être proclamée le mois précédent), exigeant que chaque patron intègre dans son entreprise 15 % de chômeurs et que les loyers soient réduits de 40 %. Les manifestants cénétistes furent reçus à coups de fusil. À partir de là, la grève des loyers s’étendit à tous les quartiers pauvres, avec une très forte implication des femmes dans cette défense du droit au logement par l’action directe. Affrontements avec la police pour empêcher les expulsions, morts, blessés, arrestations en masse d’anarcho-syndicalistes qui remplirent la prison « Modelo », la lutte n’était pas encore finie en 1932, comme en témoigna Abel Paz, qui la connut alors qu’il était enfant (11 ans). Quatre-vingt-quatre ans après, nous observons des situations similaires : chômeurs de plus en plus nombreux, précarité en augmentation constante, loyers exorbitants, insalubrité, bidonvilles, expulsions, crise systémique, droit au logement bafoué alors que des milliers d’appartements sont inoccupés… Comme dit la 4e de couverture : nous vivons des moments de lutte et d’espérance qui nécessitent entraide et partage des connaissances. Le livre de Manel Aisa Pámpols y contribue grandement.

 

1. La Huelga de alquileres y el comité de defensa económica – Barcelone, abril-diciembre 1931, syndicato CNT de la construcción, Editions El Lokal, 189 pages, 12 euros (plus frais de port). Vous pouvez passer commande directement à l’auteur : maisallibreria@gmail.com.
2. Né en 1953, dans le quartier du Raval. Membre de l’association des habitants du Barrio Chino vers 1973, puis du collectif libertaire San Antoni-Chino. Fin 1976, il adhère au syndicat CNT du bâtiment dont il devient (en 1980) secrétaire de la propagande. S’investit ensuite dans le fonctionnement de l’Athénée encyclopédique populaire, organise en 1993, l’exposition anarchiste internationale à Barcelone. Ouvre une librairie et participe à de nombreux titres de la presse libertaire.