Pas de justice, pas de paix

mis en ligne le 21 mai 2015
1776BavureJe n'ai jamais vraiment eu confiance en la justice française, laquelle n'a de cesse de se dévoiler comme une justice raciste et de classe qui, malgré les sursauts contestataires de quelques magistrats syndiqués du « bon côté », châtie très souvent les plus fragiles au bénéfice de la préservation d'un ordre social profondément injuste. J'avais encore moins confiance en cette même justice quand, sur le banc des accusés, siégeaient des flics. Aujourd'hui, lundi 18 mai 2015, j'ai la rage. La rage d'apprendre – même si, comme beaucoup, je m'y attendais – que le tribunal correctionnel de Rennes vient de relaxer Stéphanie Klein et Sébastien Gaillemain, les deux flics qui, le 27 octobre 2005, ont poussé à la mort Zyed Benna et Bouna Traoré, âgés respectivement de 17 et 15 ans, qui s'étaient réfugiés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois pour échapper à cette démocratie en uniforme qui, dans les quartiers populaires, brandit toujours la matraque.
Déjà, la justice n'avait pas retenu le délit de « mise en danger délibérée de la vie d'autrui », pour ne faire comparaître les deux policiers que pour « non-assistance à personne en danger ». Aujourd'hui, lundi 18 mai, elle les aura aussi blanchis de cette accusation. Pour le tribunal, les deux flics « n'avaient pas une conscience claire d'un péril grave et imminent ». Pourtant, l'écoute des enregistrements de la police avait permis de rendre public cette appréciation du flic Gaillemain au moment de la course-poursuite : « Je pense qu'ils sont en train de s'introduire sur le site EDF, en même temps, s'ils rentrent, je ne donne pas cher de leur peau. » Insuffisant, pour le tribunal breton, qui, décidément, n'a pas honte de sa mauvaise foi.
Désormais, les deux flics qui, ce 27 octobre 2005, s'étaient amusés à jouer au chat et à la souris en coursant deux adolescents mineurs (l'une bien au chaud derrière son standard, l'autre dans une voiture de la BAC) sont définitivement relaxés. Ils n'ont plus rien à craindre – du moins de la part de la justice – et s'en vont rejoindre grossir les rangs des dizaines de flics brutaux ou meurtriers qui restent à jamais impunis. Pour les autres flics, la justice française, par cette énième relaxe, leur fait comprendre une nouvelle fois qu'ils peuvent nous violenter en toute impunité, que la vie d'un pauvre ou d'un militant sera toujours moins chère à ses yeux que la liberté d'un flic, fût-il un assassin.
Les crimes policiers dans les quartiers populaires sont chose courante 1, favorisés par l'impunité judiciaire dont ils bénéficient quasi systématiquement. En 2005, après la mort de Zyed et Bouna, le ras-le-bol avait explosé sous forme d'émeutes qui acculèrent le pouvoir d'État, contraint de décréter l'état d'urgence. Il y a quelques semaines, à Baltimore, aux États-Unis, l'assassinat par les flics du jeune Freddy Gray avait, là aussi, donné lieu à une importante révolte populaire. Quand les autorités se couvrent entre elles et quand les tribunaux sont à ce point partiaux, à quoi d'autre notre société peut-elle s'attendre ? Aujourd'hui, en 2015, la relaxe de Klein et Gaillemain devrait appeler de nouvelles émeutes, d'autant qu'outre l'impunité policière la politique antisociale et liberticide du gouvernement de François Hollande devrait exiger de nous des réponses radicales, conflictuelles, de rupture violente contre l'État et la bourgeoisie. Le gouvernement l'a d'ailleurs bien compris, jusqu'à remettre de l'essence dans le réservoir du bulldozer de l'antiterrorisme, ce mode de gouvernement à part entière censé prévenir et mater nos résistances et nos rébellions.
En attendant les nouveaux feux de joie de nos rages, le Festival mondial des résistances et des rébellions contre le capitalisme, qui s'est tenu au Mexique fin 2014-début 2015, avait opté pour l'organisation, cette année, d'une Journée mondiale contre la police. Plus que jamais, il est nécessaire de se retrousser les manches pour lui donner vie. L'actualité nous donne une nouvelle fois raison, alors osons encore crier notre haine de cette société policière qui nous surveille, nous frappe, nous mutile et nous tue.



1. D'après le sociologue Mathieu Rigouste, la police tue en moyenne entre dix et quinze habitants des quartiers populaires par an (lire l'interview « Mort de Rémi Fraisse : c'est un meurtre d'État, non une bavure », dans Le Monde libertaire n° 1756, novembre 2014).