Rapide historique sur l'éducation libertaire

mis en ligne le 24 novembre 2006

Les rapports entre les anarchistes et l'éducation (ou l'acte de formation) ont été -- on oserait dire évidemment -- permanents. De P.-J. Proudhon à l'expérience de Bonaventure, textes théoriques, débats, discussions, réalisations se succèdent depuis un siècle et demi.

Pour préciser son approche de la notion d'éducation, Proudhon invente (ou redécouvre) un mot : démopédie, l'enseignement du peuple. Aucun dictionnaire contemporain n'a, à ma connaissance, retenu ce vocable. C'est dommage, car il résume parfaitement son propos : l'éducation populaire, par le peuple, pour le peuple. Et à travers quelques unes de ses œuvres (en particulier La Justice) il donne quelques principes, et essentiellement celui de l'apprentissage polytechnique [[On peut sur ce sujet consulter les actes du colloque de novembre 1994 de la société Proudhon consacré à ce sujet. L'éducation : Proudhon, proudhonnisme (XIX, 70 FF.]]. Rien à voir avec l'école du même nom !

Dans la décennie suivante, Michel Bakounine va prolonger la réflexion proudhonnienne et l'essentiel de ses propositions se trouve résumé dans une page célèbre de Dieu et l'État[[Réédité dans la collection « Volonté anarchiste, 40 FF.]] (voir encadré)[[On peut noter avec une relative malice qu'un des plus proches amis de Michel Bakounine, et membre de la première Internationale Buisson va être un des fondateurs de l'école publique de la IIIUne fois lancé, ce mouvement de pensée ne va plus s'arrêter. Des noms connus jalonnent cette recherche intellectuelle et pédagogique : Kropotkine, Louise Michel, Robin, Ferrer, Pelloutier, Besnard, et les autres... [[Pour approfondir cette question, on peut consulter -- entre autres -- le livre de Jean-Marc Raynaud T'are ta gueule à la révo !, Éditions du Monde libertaire.]].

De la théorie, un certain nombre de compagnes et de compagnons vont passer à la pratique et ceci dès 1880 avec l'expérience de l'orphelinat de Cempuis. Mais comment résumer en quelques lignes 120 années de réalisations ? Tâche impossible ! Surtout que des ouvrages récents sont parus qui, soit comblent une lacune documentaire, soit apportent des éléments nouveaux par rapport à des études anciennes. Aussi je ne peux mieux faire que conseiller de consulter la liste des ouvrages (81 titres !) parue dans le catalogue de la librairie du Monde libertaire, avec mention spéciale pour le Cempuis de Nathalie Brémand, les livres de (et sur) Ferrer, Sébastien Faure, Freinet [[Sur Freinet, les opinions divergent. N'a-t-il pas été membre du PC jusqu'en 1952 ? Les mauvaises langues suggèrent que ses sympathies naturelles le conduisaient vers le mouvement libertaire, mais il semble que Élise ait joué auprès de Célestin le même rôle qu'Elsa auprès de Louis (Aragon) : l'ancrage au PC.]], Bonaventure, etc.

De toutes ces expériences (de la Ruche à Bonaventure), on peut tirer quelques leçons. La première consiste à noter l'extrême difficulté à faire vivre une expérience pédagogique en dehors de l'institution officielle, la survie n'étant possible qu'avec le concours du mouvement social (syndicats, coopératives, mutuelles, organisations spécifiques).

La deuxième consiste à noter également l'extrême difficulté de la pénétration des propositions pédagogiques libertaires au sein de l'institution officielle. Mais ceci est un autre sujet, traité dans les colonnes voisines.

Et j'aimerai conclure en rappelant -- de mémoire -- cette phrase de Sébastien Faure : « L'école d'hier, c'est l'école de l'Église, l'école d'aujourd'hui, c'est l'école de l'État, l'école de demain, c'est l'école libertaire ».

Yves Peyraut