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Nouvelles internationales
par Monica Jornet le 20 mars 2020

LE CHILI À L’HEURE DE LA RÉVOLTE. Troisième volet.

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LA GREVE GENERALE FEMINISTE DU 9 MARS. VERS LE REFERENDUM DU 26 AVRIL

“La grève générale Féministe est antiraciste, transféministe, lesboféministe, plurinationale, anticarcérale, Intergénérationnelle, migrante, internationaliste, inclusive”. Le féminisme s’avère être le fer de lance des luttes et le point de convergence des luttes de par sa situation de nœud des transversalités. En témoignent les slogans sur les murs et dans les cortèges, glanés pour vous (voir Bonus).





Sur le parcours du cortège, nourri mais moins massivement que la veille qui a vu une participation de plus d’un million de personnes, les revendications ajoutent quelques thèmes plus généraux en plus comme le non au TPP- 11 ou aux AFP et la priorité donnée dans les slogans à l’exigence de libération des prisonniers politiques (avec un x en lieu du o du masculin et du a du féminin comme écriture inclusive).
A nouveau on entend l’anticapitalisme associé au patriarcat, « le néolibéralisme étant né au Chili mourra au Chili » crient les manifestant.e.s en référence à la dictature de Pinochet l’initiateur de l’ultralibéralisme. Il s’agit d’exiger un retour au service public dans un pays où tout a été privatisé en matière de santé (personnel hospitalier) ou d’éducation mais aussi de retraites. Les manifestants réclament la suppression des AFP, la capitalisation des retraites, pour le remplacer un système de retraite tripartite et solidaire public géré par les travailleurs et les retraités. Je discute avec une collègue qui porte la pancarte “Je suis professeure. 40 ans d’exercice. Pension 185 000 pesos”, soit 185 euros par mois.” Les personnels hospitaliers demandent un système de santé universel. Et enfin une « Education publique, gratuite laïque démocratique et non sexiste » pour les Niñes, ici c’est le « e » qui tient lieu de « o » du masculin ou de « a » du féminin pour une écriture inclusive
De nombreuses pancartes demandent la restitution de tel ou tel fleuve, l’accès à l’eau, dénoncent que le problème n’est pas la sécheresse qui a affecté cet hiver et cet été le Chili mais les voleurs au gouvernement puisque l’eau n’est pas publique et que l’eau potable sert à arroser les vignes des riches propriétaires. On dénonce le TPP-11, accord d’Association Transpacifique, qui réduit encore le champ du service public et des entreprises publiques ainsi que la souveraineté du pays, touchant entre autres la santé, l’ éducation, la culture, les droits indigènes, la culture ainsi que l’agriculture et la pêche livrées aux multinationales.

La grève est féministe, la manifestation reprend les slogans pour le droit à l’avortement et autres revendications de la veille. L’immense participation du 8 ne m’avait pas permis de voir un mur couvert de post-it terriblement émouvant (voir photo) : chaque petit carré de papier manuscrit porte le témoignage à la première personne d’un harcèlement, comportement machiste ou viol subis et en dénonce l’auteur avec nom prénom parfois mail ou autres coordonnées, je vois une jeune fille écrire son propre post-it. Plus de tabou, finie la loi du silence, finie l’impunité des violeurs. L’avenue est couverte d’affichettes d’alertes imprimée pour les harceleurs, pour les machistes, Sur le gazon du jardin public, des papiers en guise de pierres tombales, disent le nom de victimes de féminicide. Dans une rue piétonne j’avais déjà vu un arbre à témoignages contre les conditions dégradantes des accouchements et fausses couches.

Enfin, beaucoup de slogans en faveur du « Sí Apruebo » (Oui, j’approuve, je vote pour) pour le référendum du 26 avril sur la réforme de la Constitution.


La campagne pour le référendum du 26 avril

Les affiches et slogans en faveur du Oui lors du référendum sur la future réforme de la Constitution, couvrent les murs de la ville. Seuls les pinochetistes UDI et RN font campagne pour le non, pour le rejet de la proposition ou « Rechazo », car ils entendent conserver la Constitution de Pinochet. L’ex Concertacion, donc le Frente Amplio et le PC appellent au Oui. Toujours selon le sondage Pulso Ciudadano de Activa Research, déjà cité, 76% des Chilien.ne.s seraient d’accord pour changer la Constitution et 69,6% voteraient « pour « si les élections avaient lieu le dimanche 8 mars. Dans les manifestations, les appels au Oui sont massifs et on lit «Non à la répression. Oui au processus constituant », ou encore “Pour une nouvelle constitution paritaire, plurinationale, démocratique et participative ». « J’approuve. Chili digne. Chili féministe”. « Le Chili décide ».

Formidable mais de quoi parle-t-on exactement ? A y regarder de plus près et d’un point de vue anarchiste, l’adhésion au Oui ne mérite pas, à mon sens, un tel enthousiasme. D’abord pour les raisons déjà évoquées : exclusion des jeunes de moins de 18 ans, pourtant protagonistes de la révolte, et détournement de la révolution dans la rue au réformisme parlementaire selon une loi électorale pinochetiste en vigueur. Ensuite parce que les règles de fonctionnement de la future Constituante ont été fixées par Piñera : en établissant un quorum de 2 /3 nécessaire pour approuver la constitution, il donne à la droite un pouvoir de blocage face à tout changement réel. Les partis devront composer avec les pinochetistes dans un pays divisé en deux camps. Ensuite on le sait « Elections piège à cons » , pour les référendum, risque de manipulation maximum : il suffit au pouvoir de poser la bonne question et de la façon souhaitée en excluant une liberté de choix et toute autre option. Les dés sont ici largement pipés puisque les électeurs doivent d’abord dire sur un bulletin si oui ou non ils veulent réformer la Constitution et sur un deuxième bulletin, choisir ensuite entre deux mécanismes de réforme, une convention Constitutionnelle ou une Convention Mixte Constitutionnelle. Selon le sondage 51,2% voterait pour l’option de la convention constituante et 24,4% pour la convention mixte. La seconde option est pire que la première car une partie de la constituante serait constituée pour moitié par des parlementaires déjà en exercice mais dans les deux cas c’est un jeu de dupes entériné par le pacte parlementaire partis/ gouvernement : ni la Convention Constituante ni Convention mixte ne proposent de réécrire la Constitution sans compter que les élus seront tenus par les nombreux traités de libre commerce signés en faveur des grandes entreprises.

Le mouvement féministe dans son ensemble veut en finir avec la Constitution léguée par Pinochet et votera au referendum pour l’option Convention Constitutionnelle. Une inscription manuscrite sur une affiche pro Apruebo m’a bien plu : « Tu veux la constitution de Pinochet avec ta Convention Constitutionnelle ? ». Mais beaucoup veulent aller plus loin et demander une Assemblée Constituante Libre et Souveraine qui seule pourrait seul satisfaire les revendications en matière de Santé, Logements, Droits, Education etc avec pour objectif annoncé de créer un Système Universel et Unique de Santé public, la nationalisation des ressources naturelles et stratégiques sous gestion populaire et contrôle des communautés. Certain.e.s sont prêt.e.s à écrire cette réponse qui bien sûr invaliderait leur bulletin. Une Assemblée Constituante donnerait carte blanche aux élus et aurait tout pouvoir de décision pour toute demande populaire. Vote à 14 ans. Pas de restriction de participation. Sans Piñera à la présidence pendant les travaux. 1 pour 20 000 électeurs, révocables démocratiquement.

Tout cela me rappelle le référendum pour l’indépendance de la Catalogne de 2014, au libellé également piégé par le gouvernement régional nationaliste. Une première question pour savoir si l’électeur voulait un nouvel État indépendant et, si oui, une deuxième question demandant si oui ou non il voulait que ce soit une république. Donc Oui + oui ou non. Ou bien non et c’est tout. Les anarchistes furent les seuls à répondre Non + Oui, Non à un nouvel État et Oui à un pays d’assemblées confédérées (cette réponse étant manuscrite ou sur un bulletin alternatif). Les Chiliens aussi connaissent les referendum piégés puisque le « plebiscito » soi-disant perdu par Pinochet en 1988 (puisqu’il n’a pas obtenu le oui pour son maintien au pouvoir jusqu’en 1997), lui a tout de même permis de se retirer avec un costume sur mesure : des millions de dollars de fonds publics détournés sur des comptes à l’étranger, une immunité d’ex Chef d’Etat et le poste de chef des armées jusqu’en 1998. Tout changement de sa Constitution depuis a été cosmétique.

Tout cela étant dit sans complexe de supériorité européenne, bien au contraire, nous ne sommes pas à envier ni quant à la répression policière, ni quant aux libertés ou à la vie démocratique etc. Et le Chili a eu une femme présidente, la socialiste, Michelle Bachelet, fille d’un général mort torturé sous Pinochet. Elle a été directrice de ONU Mujeres (UN Women) de 2010 à 2013 et elle est, depuis 2018, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits humains.


Humour noir en guise de conclusion


Assemblée féministe à l’Université du Chili. « Sin nosotras no hay futuro. Por un nuevo Chile con paridad de género. 10 mars. Casa central 12h. » Corps professoral et de direction sont dans l’amphithéâtre et des représentantes de mouvements féministes invitées, activiste avocate, professeure de droit, présidente d’une association de fonctionnaires etc. sont venues parler en faveur de la Convention Constitutionnelle et de la nécessité mais la difficulté d’une Constitution paritaire. Échanges entre féministes réformistes présentant leurs programmes en somme. La forme de l’assemblée est conforme à n’importe quel acte officiel avec intervention à tour de rôle et sans questions de la salle, avec l’émotion et la détermination propres au 8 mars et à la perspective du 26 avril . En revanche, l’intervention de deux professeures de l’Université agoulées, dont Ana Harchas, spécialiste de théâtre, se présente comme une audacieuse et réjouissante utopie sur le mode de la boutade, mêlant un zeste de mon anarchisme et un zeste du nihilisme de mon compagnon. Elles sont venues prononcer la condamnation de l’espèce humaine pour machisme incurable. Se présentant comme deux membres du réseau mondial de Femmes organisées, elles déclarent : « L’histoire a démontré que tout système de pouvoir organisé tend à l’exploitation des peuples, que toute articulation politique se fonde sur l’esclavage des masses par des groupes minoritaires qui en tirent d’énormes profits. A ce jour, aucun mouvement d’émancipation n’a réussi à échapper à cette dynamique pernicieuse : ni la révolution française, ni les processus indépendantistes, ni les soulèvements populaires ni la révolution bolchévique ni les totalitarismes ni les démocraties progressistes ne sont parvenus à éviter l’oppression du plus grand nombre comme pierre angulaire de leur fonctionnement. ... Face à ce constat désolant, nous les femmes, coordonnées au niveau global... prononçons la rapide et inévitable extinction de l’espèce humaine. Nous leur avons donné le jour à tous, les dictateurs, les tortionnaires, les indécis, les curés, les footballeurs... En tant que femmes, maîtresses absolues de l’organe qui rend possible la continuité de l’espèce, nous déclarons aujourd’hui la grève totale des ventres... Notre proposition n’est pas une revanche même si nous avons de bonnes raisons pour cela, simplement nous les femmes, ayant pour la première fois une conscience de classe, avons décidé la seule solution définitive et radicale pour une participation politique qui nous a été refusée depuis 5000 ans : Pas de futur sans nous, ils ne naîtront plus» .

Monica Jornet
Groupe Gaston Couté de la FA
depuis Santiago du Chili. 12 mars 2020


(A suivre : LE CHILI À L’HEURE DE LA RÉVOLTE. Bonus : Les slogans du 8 mars à Santiago du Chili). Voir les photos dans un autre article







PAR : Monica Jornet
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