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par Christophe le 24 juillet 2023

Fortuné Henry, homme-orchestre de l’anarchisme.

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Entretien avec Dominique Petit, auteur.

Article extrait du Monde libertaire n° 1848 de mars 2023



groupe les Résolus de Dijon avec Fortuné (assis avec un chapeau)

Les Éditions Noir et Rouge et Terres Ardennaises viennent de faire paraître, en ce tout début d’année, un ouvrage rudement bien ficelé sur la trajectoire de Fortuné Henry, frère d’Émile, et véritable homme-orchestre de l’anarchisme. On le découvre successivement sous toutes ses facettes, depuis la propagande pour Ravachol, à son adhésion au syndicalisme révolutionnaire, en passant par la fondation de la colonie libertaire d’Aiglemont et le lancement du journal Le Cubilot. Pour nous autres, internationalistes, les frontières ne sont rien. Il n’a donc pas semblé inopportun à l’un des membres du groupe Ici & Maintenant (Belgique) de la Fédération Anarchiste, d’entrer en contact avec l’auteur du livre, Dominique Petit, et de le questionner sur son travail. Il n’aura pas échappé aux plus perspicaces que Dominique crèche du côté français des Ardennes… D’où son intérêt particulier pour cette région.

1. Si j’ai bien compris, ta "rencontre" avec Fortuné Henry ne date pas d’hier... Peux-tu nous expliquer les circonstances qui t’ont amené à t’intéresser à cette figure de l’anarchisme ?

J’ai commencé à faire des recherches sur l’anarchisme dans les Ardennes en 1984, après la lecture du livre de Henri Manceau Des luttes ardennaises aux Éditions sociales où celui-ci évoquait le rôle de Fortuné dans le syndicalisme ardennais, après la création de la colonie d’Aiglemont. Mais ce passage du livre ne comportait que deux pages. J’ai donc voulu en savoir plus et je lui ai écrit.
Henri Manceau était un historien communiste et, s’il ne passait pas sous silence l’histoire de l’anarchisme, il avait tendance, comme tous les historiens communistes de l’époque, à marginaliser ce passé.
Je lui ai écrit et il m’a répondu, m’informant qu’il avait pu consulter les dossiers de police, ainsi que la collection du Cubilot (le journal de la colonie) aux archives départementales, dossiers qui brûlèrent dans un incendie en 1940.
Les recherches allaient donc s’avérer difficiles avec cette destruction mais avec la découverte d’un dossier aux archives nationales sur Fortuné Henry, ces lacunes ont pu, en partie, être comblées. Le dossier F. Henry de la Préfecture de police de Paris avait, lui aussi, disparu (comme de nombreux autres) mais il restait tout de même un inventaire de tous les rapports écrits sur lui, montrant l’ampleur de la surveillance à son égard (et même une guerre des polices pour savoir qui devait le surveiller à Limeil-Brévannes entre la Préfecture de police et la Sûreté). Enfin, la collection du Cubilot put être presque reconstituée grâce à un collectionneur, aux divers numéros conservés à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam, aux archives départementales dans le dossier judiciaire de Mounier l’un des colons d’Aiglemont. Et désormais, la collection du Libertaire est en ligne sur le site RetroNews.

2. Ton livre est extrêmement bien documenté. Quelle est ta méthode de travail ?

Mes recherches ayant commencé en 1984, je me suis retrouvé à cheval sur deux périodes, celle d’avant l’informatisation et la numérisation et la période actuelle. Lorsque j’ai commencé les recherches, il fallait faire des photocopies des documents, ce qui était assez coûteux et de mauvaise qualité ou alors prendre des notes, ce qui ne permettait pas de tout recopier. Il fallait consulter des quantités de journaux papiers, en particulier pour les quotidiens, tout prenait beaucoup de temps.
Dès que cela a été possible, j’ai donc décidé de photographier les dossiers d’archives avec un appareil photo numérique et de conserver tous ces documents sur un serveur informatique. Cela permet ensuite de pouvoir les consulter à volonté et même de partager ces sources avec d’autres chercheurs ou avec des étudiants.
La deuxième source d’information, ce sont les moteurs de recherche de la presse numérisée, la BNF a tracé la voie mais, depuis, une bonne partie de la presse nationale est également sur le web et également la presse anarchiste.
C’est un moyen très puissant pour la recherche historique qui n’était pas à la disposition des chercheurs des générations antérieures et pouvait amener à des erreurs, par exemple considérer (comme Maitron) qu’il n’y avait pratiquement pas eu d’attentats avant la période 1892-1894 alors que, désormais, il suffit de taper le mot « dynamite » dans n’importe quel moteur de recherche pour voir qu’il y avait eu de nombreux attentats avant 1892 (cela nécessite bien sûr d’éliminer le « bruit », c’est à dire tous les accidents et autres utilisations de l’explosif pour faire sauter la glace, dans les fleuves gelés par exemple)
La troisième source ce sont les bases de données que l’on peut se constituer à partir du dépouillement des documents bruts, c’est une phase assez fastidieuse puisqu’elle nécessite de les retranscrire, à moins qu’il ne s’agisse de texte avec reconnaissance de caractères.

3. En plus de tes dernières publications, tu accomplis un véritable travail de... bénédictin, avec ton site "Archives anarchistes" ! En quoi cela consiste-t-il ?

Archives anarchistes est un moyen de faire connaître au plus grand nombre l’histoire du mouvement anarchiste, concernant la France et la Belgique, pays auxquels je me limite, car il n’est pas possible de tout traiter.
Comme mes recherches m’ont permis de numériser une grosse quantité de cartons d’archives provenant de nombreux endroits : archives nationales, départementales, Préfecture de police de Paris, archives de Paris (judiciaires pour les anarchistes), archives de l’Outre-mer pour les bagnards, collections de journaux anarchistes non encore numérisées et, pour la Belgique, archives de la ville de Bruxelles ou de Liège, archives de l’État (Bruxelles, Liège, Forest), Mondaneum, je recopie ces documents et les mets en ligne sur le blog.
Cela sert aux chercheurs, aux étudiants et à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’anarchisme.

4. Quels sont tes projets ?

Le projet actuel est l’écriture d’un livre sur les émeutes de 1886 dans le bassin de Liège, pour lequel la recherche de documents est déjà bien avancée.
C’est un événement totalement marginalisé par l’historiographie en Belgique, une sorte de coup de tonnerre, que le parti-pris, en Belgique, de tout vouloir expliquer en matière de mouvement social par l’histoire du Parti ouvrier belge (le Parti socialiste) rend incompréhensible et n’a donc été traité que de manière marginale.
Pour la suite, un autre projet d’écriture sur les dynamiteurs et incendiaires de Revin, dans les Ardennes, où des ouvriers, à la suite d’une grève, furent emprisonnés dont trois envoyés au bagne de Cayenne (deux y trouvèrent la mort).
J’avais aussi un projet au sein du « Maitron des anarchistes » de publier les biographies de plus de 400 anarchistes parisiens dont les photos anthropométriques se trouvent au Metmuseum de New-York et que l’on peut voir sur leur site. Les bios sont rédigées et publiées sur le Maitron mais le coup de force dont est victime le site, avec la reprise en main par le CNRS, a mis ce projet en veilleuse. L’intérêt serait de publier en anglais, sur le site du Metmuseum, les biographies correspondant aux photos anthropométriques, pour leur donner plus de sens et faire mieux connaître l’ampleur de la répression qui frappa les anarchistes autour de 1894.

Propos recueillis par Christophe, du groupe Ici & Maintenant




Fortuné Henry et la colonie libertaire d’Aiglemont. De la propagande pour Ravachol au syndicalisme révolutionnaire, Dominique Petit, Éditions Noir et Rouge et Terres Ardennaises, 2023 – l’ouvrage est en vente à la Librairie Publico

A lire également : Les Ardennes du Père Peinard, par Dominique Petit, Éditions Terre Ardennaise, 2022


PAR : Christophe
Groupe Ici & Maintenant. Belgique
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1

le 16 août 2023 14:25:44 par djedje

j’ai été un des ouvreurs de squats dont ceux de Bussy ( le BuroSpace ). C’est très instructif ! Merci !!