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par Evelyne Trân le 3 mai 2020

3e partie des entretiens à bâtons rompus de Patrick KIPPER

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avec Jérémie Jeandidier et le concours de Fabien Roland et Evelyne Trân.

Ferré a été garçon de piano jusqu’à 40 ans avec un succès relatif.

Brassens a eu du mal à chanter dans les cabarets car on ne voulait pas de lui. Mais il s’en est sorti et a chanté dans les salles de music-hall plus rapidement que Ferré.

Je parle des cabarets parce que c’est mythique et je n’osais et ne pouvais pas y aller.
Les enfants de banlieue d’un milieu pauvre n’ont pas accès aux cabarets.
Le public est cultivé et habite Paris, c’est un milieu qui n’est pas le mien. Quand on est un petit prolo on a des complexes, et je n’ose pas me frotter au milieu des étudiants. Donc les cabarets c’est tard le soir avec des spectacles qui débutent à 22 Heures.
Par contre, je vais au music-hall de façon particulière en étant initié par les libertaires.

J’ai découvert Brassens, j’ai découvert notamment le mot anarchie dans une chanson qui s’appelle “Hécatombe” où il fait gueuler le vieux maréchal des logis " Mort aux vaches, mort aux lois, vive l’anarchie ! ». Je découvre ce mot que je ne connais absolument pas. J’ai pas de dictionnaire chez moi. Faut que je mette la main sur un dictionnaire. Je vais pas aller dans les bibliothèques. Quand on est un petit prolo, on ne fréquente pas les bibliothèques à cette époque. Maintenant, oui.

Y’a des endroits quand on est un petit prolo, on n’aura jamais l’idée d’y aller, c’est la bibliothèque et la piscine. Faut que je mette la main sur un Larousse.
Et je découvre ce que c’est l’anarchie et ça me plaît beaucoup. 
Brassens n’utilisera ce mot qu’une seule fois, dans toutes ses chansons
Mais pour qui sait écouter, l’anarchie est présente partout chez Brassens. Plus jamais il ne le dira et ne fera jamais une chanson militante volontairement. Pour qui sait entendre à la façon de Brassens, c’est partout. Mais ça on l’apprend au fur et à mesure.
Ça me plait, ça m’accompagne. Je continue à écouter Brassens.

Un an après, j’ai 15 ans, il y a une gendarmerie à Sevran. Maintenant c’est des appartements. Il se trouve qu’il y a plein d’affiches un jour. La gendarmerie est couverte d’affiches de la Fédération anarchiste. Je l’ai su après, y’avait un groupe à Aulnay Sous-Bois de la Fédération anarchiste. Ils avaient fait un collage sur la gendarmerie. Je vois ces affiches, ça me renvoie à Brassens, à l’anarchie que j’ai découvert avec la chanson « l’hécatombe”.
Y’a une adresse : Fédération anarchiste 3 rue Ternaux Paris.
Moi qui ne vais pas à Paris. Je ne vais quasiment jamais à Paris. Les mômes de banlieue, on n’allait pas à Paris. Dans les années 60, y’avait pas de gosses qui allaient à Paris, surtout pas les petits prolos.
En plus, y’avait pas les trains comme maintenant. Y’en avait, mais beaucoup moins.
Et c’était cher. C’était tout le temps cher. Avec l’argent, tout est cher. Aller à Paris par les trains par le bus, tout est cher. Sauf si on fraude.
A l’époque, ça se faisait moins la fraude. Donc on n’y va pas.Pour moi, là faut que j’aille voir, ce qui se passe là-bas chez les anarchistes rue de Ternaux.
Je tombe sur une toute petite librairie, c’est la librairie Publico qui est à l’époque un tout petit local.
Aujourd’hui quand on va au 3 rue Ternaux c’est un artisan plombier.
C’est une toute petite librairie très sombre. Y’a une salle de réunion au 1er étage, ça je le saurai après.
Y’a plein de bouquins.  Bien sûr, je n’y connais rien, Y’a un vieux militant libertaire retraité un ancien de la guerre d’Espagne qui est à moitié aveugle et que je connaîtrai après quand je rencontre l’organisation. Il tient la librairie et est très peu causant.
J’avais pas tellement envie de lui causer. Il était assez impressionnant autant que la librairie envahie de bouquins. Je découvre qu’il existe le journal le Monde Libertaire qui est le journal de la Fédération anarchiste qui paraît tous les mois.
Je m’abonne très jeune. A 15 ans je m’abonne. Je vais commencer à le recevoir. On fera des reproches à ma mère par rapport à cet abonnement.

La famille de ma mère dit : “je sais pas ce que lit ton fils, tu as vu le drôle de journal qu’il reçoit tous les mois. Il y a un bandeau”. Le mot anarchisme dans les années 60 résonne comme synonyme de terrorisme uniquement chez les gens qui ne savent pas ce que c’est. Ils disent à ma mère : “Tu devrais pas laisser ton fils lire n’importe quoi”.
Ma mère ne tient pas compte de ça.
Dans ce fameux Monde Libertaire, chaque année ils font un gala. Le gala du Monde Libertaire qui a lieu à la Mutualité à Paris. En réalité, il y a deux galas, le gala du Monde Libertaire et le gala du groupe libertaire Louise Michel le groupe le plus important de la Fédération anarchiste à Paris du 18ème arrondissement.
Ce groupe est extrêmement puissant, à l’époque il avait plus de 100 militants.
Il faut savoir chez les anarchistes, les groupes de 100 militants ça n’arrive pratiquement jamais. Les anarchistes sont souvent regroupés entre 5 ou 15. 
Quand il y aura un groupe à Sevran dans les années 70, on sera une douzaine.
Là, c’est le plus gros groupe et ils organisent leur propre gala. Ils le font également à la Mutualité. Ce gala il est d’égale importance avec celui de la région parisienne organisé par le Monde Libertaire.
Pour moi, c’est comme ça que je vais découvrir les artistes sur scène. Et là j’y vais.
Là j’ai aucun complexe à y aller. Je sens que c’est ma famille politique, intellectuelle, philosophique.
Je connais pas grand-chose en rien mais je sens que c’est ma famille.
Là j’y vais tout naturellement. Et j’y vais avec un grand enthousiasme. Car le premier qui chante pour le Monde Libertaire, c’est Brassens. qui assure la deuxième partie.

La première partie, je découvre plein d’artistes, il y a 7 ou 8 artistes différents. Ce sont des artistes qui se produisent dans des cabarets. Des artistes différents, des gens qui ont du métier qui sont aussi des artistes importants. Mais la plupart ne passent pas sur les antennes, à part quelques-uns. Je découvre vraiment. Je suis en contact avec la chanson sur place. Il y a deux galas par an. Je vais à celui du Monde Libertaire et à celui de Louise Michel. Ou c’est Brassens ou c’est Ferré. C’est tout le temps eux qui assurent les galas. Dans la foulée, je commence à fréquenter les music-halls. Je vais à Bobino. Bobino, je l’ai toujours préféré à l’Olympia mais j’y vais aussi. L’Olympia 2000 places, Bobino 1000 places. Une programmation différente. Je vais aller à Bobino voir Brassens, Léo Ferré, Juliette Gréco, Félix Leclerc.

Félix Leclerc que je vais voir en 1971 avec une toute jeune chanteuse Béa Tristan qui assure la première partie.




Elle va arrêter de chanter l’année d’après, et je vais la redécouvrir 35 ans après avec un nouveau parcours.
(à suivre)
PAR : Evelyne Trân
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