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par Pierre Sommermeyer le 23 décembre 2019

Un arbre et la forêt

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rticle extrait du Monde libertaire n°1811 de novembre 2019
Le numéro deux de la revue Yggdrasil vient de paraître. Son sous-titre, Effondrement et renouveau, annonce la couleur. Son titre vient de la mythologie nordique, il s’agit de l’arbre monde. Comme pour celui qui l’a précédé, on peut dire que c’est un bel objet. J’étais, je dois le dire, resté alors un peu de marbre. Dans ce nouvel opus, trois articles ont retenu mon attention et j’espère qu’ils feront de même avec la vôtre. Mais avant cela il faut revenir sur la genèse de cette aventure.




A l’origine il y a l’engagement de Pablo Servigne et de quelques-uns de ses amis dans ce courant culturel qui a pris le nom de collapsologie. Pour faire court, très court, il s’agit de prendre en compte les analyses et les avertissements des scientifique réunis au sein du GIEC annonçant la dégradation inéluctable en l’état des conditions de vie sur notre planète. Après l’édition de trois de leurs livres, dont celui intitulé l’Entraide, l’autre loi de la jungle, il avait été décidé de faire paraître une revue rassemblant des articles divers et variés autour de ce sujet, la fin de notre monde. Une souscription avait alors été lancée pour trouver du financement. Ce fut un succès. Suffisamment d’argent pour envisager la parution de 12 numéros d’ici 2022. Pourquoi pas plus ? Peut-être y aura-t-il alors eu cette fin du monde !

Je me suis arrêté sur trois articles. La question de la politisation du propos, celle de l’alimentation en cas de catastrophe et celle du niveau communal. Dans le premier article Pablo Servigne répond à ceux, dont j’étais, qui se demandaient : « Pourquoi n’avons-nous pas politisé la question de l’effondrement dès le début ? » Il reconnaît que dans les ouvrages qui précèdent la parution de cette revue le « chapitre sur la politique de l’effondrement est resté bien maigrichon ». Il ajoute que cela aurait été bien prématuré de faire autrement, mais comme aujourd’hui « le concept a été accepté par beaucoup de monde », il est temps de creuser le problème. Pour autant, il pense que c’était faire œuvre politique avec son livre sur l’entraide, de tordre le cou au mythe de la compétition. Sur ce point, je ne peux qu’être d’accord. Par ailleurs il faut reconnaître que ce qui pouvait apparaître comme possible, c’est-à-dire la catastrophe environnementale, est devenu, médiatiquement au moins, une certitude. C’est devenu un récit autour duquel le monde entier tourne en ne sachant pas, pour le moment, comment l’enterrer. Pour Servigne et ses amis « il est grand temps de plonger dans ce chantier et de l’ouvrir à d’autres compagnons de route ». Ce qui l’intéresse, lui, « c’est de comprendre les enjeux et de donner des outils politiques conceptuels pour que chacun-e s’approprie ces questions et prenne ses responsabilités ». Pablo Servigne, à la fin de cet article, rappelle, faisant référence à un schéma publié au sein de l’article, qu’il se « situe dans le cadran anarchisme-effondrisme ». Est-il nécessaire de rappeler que Pablo a participé pendant quelques années à la revue Réfractions et qu’il avait, dans le numéro 32 (en ligne), au printemps 2014 déjà, abordé cette question ?

Envisager l’effondrement d’une autre façon que théorique, abstraite, impose de se poser la question de la circulation de l’alimentation en période de catastrophes. Après qu’elles sont arrivées, la rumeur court, souvent justifiée, qu’il y a eu des pillages de magasins plus ou moins importants. Rappelons-nous ce qui s’est passé à la Nouvelle Orléans en 2005 ou aux Antilles/Saint Martin en 2017. Qu’en serait-il si la catastrophe était systémique, c’est-à-dire si elle entraînait l’incapacité pour l’État de fonctionner, par exemple en cas d’une panne générale électrique ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre Stéphane Linou dans son livre auto-édité intitulé Résilience alimentaire et sécurité nationale. Il répond aux questions d’Yggdrasil. Il rappelle que de tout temps la question de la sécurité alimentaire faisait partie des charges des édiles locaux. Avec le développement des moyens de communication cette responsabilité a fini par disparaître. Pour Linou, cela tient essentiellement à l’utilisation sans limite des énergies fossiles qui permettent à des nourritures produites loin d’arriver chez les marchands locaux, comme par exemple bananes et oranges. Il ajoute que selon les études qu’il a menées, les populations pensent que les grandes surfaces comme l’État ont des plans d’urgence dans les tiroirs. On a bien vu, lors de l’incendie de l’usine chimique de Rouen (septembre 2019), qu’il n’en était rien. A chaque niveau, chacun pense que l’autre sait ce qu’il faut faire, S. Linou ajoutant qu’à son avis, l’État espère que les collectivités locales rurales pourraient prendre cela en charge. Au niveau national, les seuls à s’intéresser à cette question sont les militaires, qui y voient la possibilité d’étendre leur sphère d’intervention, même s’ils sont réticents à faire remonter au politique cette problématique car elle viendrait contrecarrer l’idéologie du libre-échange. Il faudrait alors se retourner vers les maires et particulièrement ceux des petites communes qui sont majoritaires en France. Ce sont les seuls endroits où il serait possible de prendre les choses en main et de construire une résilience alimentaire. C’est sans aucun doute un beau plan de travail qui n’a qu’un défaut, c’est qu’il laisse de côté la grande majorité des gens qui vivent en ville.

Le dernier article qui a attiré mon attention consiste en l’interview d’un curieux personnage, fort intéressant. Il vient du haut de la pyramide du pouvoir. Policier, il est passé de la BAC à la garde présidentielle sous Chirac. Il en est parti et travaille maintenant sur les questions de sécurité et de résilience liées aux risques d’effondrement. Pour lui, il ne faut rien attendre du sommet gangrené par les lobbies quels qu’ils soient, d’une part, et aux mains de conseillers corrompus ou tenus par des dossiers qui empêchent toute imagination. Nous nous trouvons dans la situation où « la population risque d’attendre qu’un messie arrive des urnes ou du ciel ». Il pense comme l’interviewé précédent que tout se joue dans les petites communes capables de surproduire au niveau alimentaire, mais que la question de la distribution pose un problème d’ordre public. Il y aurait alors l’apparition de « zones d’insécurité » et ce serait le rôle de la police de « colmater les brèches qui empêchent cette ultra violence d’envahir la normalité sociale ». Il vise les gangs. Il ajoute qu’« il faut faire comprendre aux gangs que s’ils gagnent un peu au début, ils vont avoir une vie merdique par la suite ». Cet article rappelle que l’effondrement ne sera pas forcément joyeux et vengeur.

Nous vivons dans un drôle de monde. Il ne viendrait à l’idée de personne de contester le savoir des médecins, même si parfois nous pouvons le critiquer. Il faut en avoir eu besoin pour se rendre compte concrètement que nous leur devons beaucoup. C’est scientifique ! Mais quand des chercheurs se mêlent de donner un avis sur l’état de santé de notre monde, le doute devient la chose la mieux partagée. Il est plus facile de critiquer Greta Thunberg que de se plonger dans la littérature scientifique. C’est ce que certains ont nommé le « schisme de réalité ». C’est un terme forgé par le philosophe allemand Oskar Negt pour décrire l’étrangeté de ces périodes où se nouent les grandes crises politiques et institutionnelles, et où deux réalités disjointes semblent, un temps, coexister. Negt, né en 1934, est une figure majeure de la théorie critique de l’École de Francfort.

Rendant compte d’un livre, Gouverner le climat, publié en 2015, un chroniqueur du journal Le Monde rappelle que « nous avons d’un côté l’enchaînement des conférences sur le climat, offrant l’image rassurante d’une communauté internationale soucieuse de l’avenir de la planète, désireuse de coopérer pour sauvegarder les biens communs et jouant le rôle de “grand régulateur central” chargé de définir et de distribuer les droits d’émissions de gaz à effet de serre. De l’autre, nous avons l’image du monde réel, où règnent en maîtres l’exploitation forcenée des ressources d’énergie fossiles, la recherche éperdue d’intensification des échanges commerciaux, l’affirmation farouche des souverainetés, le tout sur fond de concurrence économique toujours plus féroce ».

L’autre question qui gêne beaucoup de nos concitoyens, jusque dans nos rangs, est la question de l’effondrement systémique. Nous pensons tellement en termes de révolution pour abattre le système que l’on en vient à oublier qu’il puisse tomber du fait du changement climatique. Si cela devait advenir, ce serait loin d’ici ! Je voudrais juste partager avec le lecteur quelques faits qui nous sont très proches.

Il est un endroit en France où cette question n’est pas une vue abstraite. C’est en montagne, et particulièrement dans les Alpes, où le changement de température entraîne le réchauffement du permafrost. La transformation sous le coup de la chaleur de ce ciment naturel affaiblit la solidité d’ensembles rocheux. Des refuges se sont effondrés ou nécessitent des travaux de renforcement, ou alors comme aux Cosmiques, près du Mont Blanc, se pose un problème d’alimentation en eau. Des remontées mécaniques deviennent instables, comme aux Grands Montets à Chamonix. Les guides de haute montagne sont amenés à modifier leurs listes de courses. Sur 100 courses, 25% ne sont plus fréquentables l’été et 30 sont très évolutives. Le réchauffement climatique transforme l’économie de la montagne, alors que 500 000 visiteurs se rendent chaque année à l’Aiguille du Midi. Dans l’Oisans un grimpeur a été blessé au cours d’un rappel, un bloc de plusieurs centaines de kilos lui est tombé dessus. C’est toute une économie touristique qui doit être modifiée et ce n’est pas près de changer.

D’autres sujets sont abordés dans ce numéro, sur, entre autres, Extinction Rebellion, le clitoris ou comment fabriquer son assiette en bois ! Bonne lecture !

Pierre Sommermeyer







PAR : Pierre Sommermeyer
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