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par Pierre Sommermeyer le 6 janvier 2020

Islamophobie, islamofolie, islamophilie…

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Article extrait du Monde libertaire n°1812 de décembre 2019
74 000 citoyens français réclamant l’application de la charia chrétienne ont défilé dans la rue le 6 octobre 2019 [note] . Tout le monde trouve cette manifestation normale tout en y étant opposé.

Imaginons le même nombre de citoyens français, mais de confession musulmane, marchant entre République et Bastille, avec le même type de revendication. Ce serait sans aucun doute le début d’une guerre civile avec nombre de Zemmour en tête.

Y aurait-il deux poids, deux mesures, une religion bien de chez nous et une autre étrangère ? La loi de 1905 joue-t-elle un rôle dans cette histoire ? De tout côté on s’écharpe à ce sujet. Les questions que l’on pourrait croire fondamentales, sociales ou environnementales, disparaissent alors fort opportunément. Dès 2006, j’écrivais ici ou là, que la guerre d’Algérie n’était pas terminée. Qu’elle se continuait au sein de nos cités, des quartiers populaires. Depuis sa fin officielle en mars 1962 jusqu’à aujourd’hui bien des choses se sont passées, tant d’un point de vue matériel qu’intellectuel. Je vais tenter de revenir là-dessus. Ce débat, a pris une place considérable tant dans la communauté universitaire que parmi la gauche dite radicale. Quand cette question revient sur le devant de la scène, elle prend le dessus sur toute autre problématique. Il importe de faire un retour sur ce l’histoire de l’islam.

Un peu d’histoire
Il y a trois monothéismes, et c’est probablement là le nœud du problème. Tous les trois prétendent à la vérité sur l’existence du monde, de notre monde. Si le judaïsme se structure aux environs des années 500 avant notre ère, le christianisme fait de même autour de l’an 300 de notre ère. L’islam bon dernier arrive quatre siècles après, vers les années 620-30. Les fondateurs des trois religions on connus des destins très différents. Moïse, pour la première, n’a pas eu le droit d’entrer en Palestine malgré le fait qu’il ait conduit le peuple juif à travers le désert et que Dieu lui ait remis les tables de la loi. Le second, tout aussi mythique que le premier, fut crucifié par les occupants de cette Palestine. Seul Mahomet réussi ce qu’il avait entrepris, en tant que chef temporel et religieux. Le judaïsme, sous le coup de l’occupant romain comme avant par la petitesse de son territoire, a essaimé dans tout le Bassin méditerranéen et parfois au-delà, comme le rappelle l’histoire des Falashas. Ultra minoritaires, puisque le prosélytisme est quasiment impossible, les juifs n’avaient comme projet politique que le retour à Jérusalem. Le christianisme va s’efforcer de conquérir un pouvoir temporel, fragile, parcellaire, remis en question par nombre de contestations religieuses. Les capitales seront d’abord Rome puis Constantinople. Pour cela, il va être nécessaire d’oublier cette parole de Jésus de Nazareth : il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! Ce qui devrait contredire dans les faits tout pouvoir mélangeant à la fois le civil et le religieux. Dans ces trois religions, on trouve des éléments « radicalisés » qui luttent pour imposer, instaurer, leur type d’organisation politique. Cette attitude n’est pas seulement le fait d’adeptes d’une religion monothéisme, les hindouistes, au pouvoir en Inde, partagent tout à la fois ce désir et cette volonté, qui se traduit là-bas par la chasse aux musulmans.

Le post-colonialisme

Il aura fallu longtemps pour que s’impose la nécessité d’étudier le colonialisme du point de vue de ceux qui l’ont subi. Il s’agit d’emblée d’émettre des analyses critiques vis-à-vis du silence qui règne dans les pays qui ont dû accepter que leurs colonies s’émancipent. Avant de gagner le domaine public, ce point de vue s’est développé dans les universités, états-uniennes pour commencer puis partout ailleurs. Le moment où elles naissent, apparaissent, date environ des années 1980. C’est aussi le moment où les élites intellectuelles se rendent compte, elles en auront mis du temps, que le marxisme à la sauce soviétique n’est plus « tendance ». Le fait que l’œuvre fondatrice soit celle d’un émigré d’origine arabe Édouard Saïd, L’Orientalisme, écrite peu avant en 1978, va jouer un rôle considérable par la suite. Et cela pour deux raisons. D’abord parce qu’il s’agit d’un livre écrit par un Arabe palestinien, émigré aux États-Unis. D’autre part parce que, comme le rappelle Jacques Pouchepadass (DR CNRS), la tranche chronologique étudiée par Saïd dans cet ouvrage concernait toute la période du rapport colonial de l’Occident avec le reste du monde, principalement la période de la seconde grande expansion européenne, du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe. Et c’est là que le bât blesse.

Il ne fait aucun doute que la prospérité de la sphère européenne, puis celle de l’Amérique du Nord s’est construite en exploitant les ressources en matériel humain et minéral. L’or des Amériques, s’il crée une situation de rente en Espagne et l’appauvrit par-là même, irrigue l’Europe du capital. Ces ressources allant en diminuant, le commerce triangulaire va prendre le relais. La main d’œuvre capturée en Afrique est emmenée de l’autre côté de l’Atlantique pour répondre aux besoins d’expansion des grandes propriétés agraires en mal d’ouvriers. De là, les bateaux repartent vers l’Europe pour livrer des matières premières produites par ceux qui sont devenus de ce fait esclaves. Les mêmes bateaux à vide repartant en Afrique reprendre un chargement de bois d’ébène. Ce qui s’est passé là, a continué sous une autre forme en Europe où la main d’œuvre nécessaire au développement de l’industrie provint d’abord des pays limitrophes des centres industriels, puis plus loin essentiellement d’Afrique du Nord et aujourd’hui de partout. Les victimes de ces trafics furent d’une couleur différente et le plus souvent d’une religion différente. Cela donna de la matière au racisme. Sous l’impulsion des sulbatern Studies, centrées au départ sur l’histoire populaire de l’Inde, les postcolonial studies prirent un essor important si ce n’est décisif. Leur domaine couvre en fait toute l’histoire humaine, quelle que soit sa spécificité. Pour nombre de militants issus des milieux originaires de cette traite et pour d’autres sympathisants, ces travaux vinrent combler le vide laissé par les échecs du tiers-mondisme.

A la lecture ce ces données il semble évident que les victimes de ces faits sont de couleurs et de religions autres que celles de l’aire européenne. Il semble tout aussi évident que les bourreaux sont blancs et pour la plupart de religion comme de culture chrétienne. En restant dans une relation binaire, il vient à l’esprit que nous sommes des bourreaux et vous êtes des victimes ! Nous sommes les dominateurs, ils sont les dominés. C’est ce qui est dénommée la position victimaire. Cette attitude, contenue dans ce que l’on appelle la pensée postcoloniale, en passant du domaine purement universitaire au monde militant est devenue une idéologie. Aux mêmes moments, retentissaient dans les banlieues, dans ce que l’on appellera les quartiers populaires les derniers soubresauts d’une guerre d’Algérie qui n’en finit toujours pas. L’irruption tempétueuse des Indigènes de la République et de leurs amis dans ce contexte a mis le feu aux poudres. Être Français de souche était être coupable de fait. Le reproche habituel fait à tout regroupement, militant ou pas, c’est être blanc. Ce fut le cas dernièrement en ce qui concerne les Gilets jaunes ou les membres d’Extinction Rebellion. Comme ces militants étaient de culture et souvent de religion musulmane, ils se heurtèrent à une forme de racisme particulière, mélangeant tout à la fois le racisme classique et le rejet de l’islam. Ce qui a pris comme nom l’islamophobie.

Fonction de l’islamophobie
Si pendant tous ces derniers mois, de novembre 2018 à septembre dernier, on ne parlait que Gilets jaunes, depuis la sortie de ce conseiller régional RN de Dijon (12 octobre) un consensus médiatique s’est fait pour ne parler qu’islamophobie, voile, musulmans, communautarisme, etc. On peut alors parler de crise islamofolle. Si l’on peut reprocher beaucoup de choses aux GJ, il est impossible de ne pas constater qu’ils ont porté le fer là où cela fait mal, la politique sociale du système. Avec le débat sur le voile et le reste, on en est loin.



L’islamophobie joue un autre rôle. Pour l’historien Enzo Traverso, les musulmans ont remplacé les juifs comme figure minoritaire de l’ennemi intérieur gangrenant la nation. Ce délire justifie le discours d’une gauche dite radicale qui trouve là un substitut à son antifascisme originel. Cela justifie aussi les diatribes indigénistes postcoloniales qui font du Blanc le responsable de tout, l’héritier de privilèges issus de la traite esclavagiste. A partir de là, le Blanc conscient ne peut que se sentir coupable d’être de cette couleur et donc d’être complice de l’horreur du commerce triangulaire. Est-ce aussi simple ? Je ne le crois pas.
Il n’est pas possible de nier que la couleur de peau ainsi que les origines de nom entraînent des formes différentes de discrimination, logement, emploi, éducation, etc. Le fait que ces personnes soient victimes de traitements insupportables n’a pas pour conséquence que le discours contestataire porté par certains ne soit pas contestable. On retrouve ici le réflexe tiers-mondiste qui fut longtemps celui d’une gauche qui se détachait de l’influence stalinienne. Bien des années après, les courants indépendantistes ayant gagné pour la plupart, les anciennes colonies sont devenues indépendantes. La libération tant espérée n’est pas advenue. A cette lumière, il est possible et nécessaire de considérer le discours postcolonial comme étant une forme spécifique de l’idéologie.

Critique d’une certaine forme d’islamophilie
Les Indigènes de la République et Houria Bouteldja ont popularisé le terme de philosémitisme d’État, nous pouvons reprendre à notre compte celui d’islamophilie culturelle. Si cette dernière ne s’incarnait que dans une espèce de non-critique du port du voile, cela ne porterait pas à conséquence. Je suis pour ma part favorable au laisser-faire. Le voile me dérange, certes, mais pas plus que bien d’autres formes d’affichage religieux. Il en est autrement quand la question du terrorisme islamique se pose. En effet comment ne pas ajouter aux difficultés, que rencontrent dans notre pays ceux qui se disent ou dont on dit qu’ils sont musulmans, tout en analysant le projet politique islamiste et le terrorisme, une de ses pratiques ?

Un intellectuel, Hakim el Karaoui, ayant navigué dans les sphères décisionnelles française, plaide dans un livre éponyme pour que l’islam devienne une religion française. Existe-t-il déjà une religion française ? Il me semblait que la loi de 1905 disait exactement le contraire. Pas plus qu’il n’est possible de parler du catholicisme sans se référer à Rome ou du judaïsme sans voir l’ombre d’Israël, il n’est possible de parler des musulmans et de l’islam sans nous référer à ce qui existe ailleurs, à la fois comme pouvoirs politiques, courants intellectuels ou terrorismes. Il existe un grand nombre de pays où la référence à l’islam est fondamentale dans leur organisation politique. Il n’en est aucun qui puisse être considéré comme une démocratie libérale. Ce qui frappe à la lecture des partisans de la lutte contre l’islamophobie, c’est l’impression que les musulmans sont une minorité alors qu’il y en aurait un peu moins de 2 milliards dans le monde et que leur présence forme de fait une référence.

Quant au terrorisme, il faut être clair, il existe et il en existe deux sortes. Celle qui consiste à faire peur à ceux qui sont gouvernés. Nous pouvons nous référer à l’Encyclopédie anarchiste qui rappelle que « la peur fut toujours, et demeure, à notre époque, le principal moyen d’action de l’Autorité ». Il y a l’autre qui considère les autres comme des coupables à priori. Il s’agit-là alors l’action de gens qui sont en dehors des sphères du pouvoir dit légitime et qui veulent y accéder. Pour cela, il y a plusieurs façons d’y parvenir. La façon brutale, par les attentats et de façon détournée en amenant les démocraties libérales à augmenter de façon liberticide leur niveau de sécurité ce qui est le cas de la France avec la multiplication des rondes de militaires armés et les fouilles systématiques à l’entrée des lieux publics.

Considérer une personne du camp opposé comme un ennemi potentiel, bon à être tué, est une position d’extrême droite. Le spécialiste du nazisme, Pierre Ayçoberry, disait qu’à partir du moment où l’on cessait de considérer l’autre comme une partie de soi-même le nazisme était présent.

En ne critiquant pas radicalement le terrorisme d’où qu’il vienne, bien des gens de gauche se sont laissés entraîner dans cette situation. Faire peur n’est pas et ne peut pas être un acte libératoire. De 1991 à 2002 l’Algérie sombre dans un conflit qui fera entre 100 et 200 000 morts. Au nom de leur religion, les islamistes ont remporté les élections. Ils en seront chassés par l’armée. Ils prennent le maquis. De part et d’autre, il n’y aucune pitié et les bavures sont quotidiennes. En France, dans les milieux de la gauche radicale, c’est un long silence. Le 11 septembre 2001, les tours de New York s’effondrent sous les coups d’Al Qaïda, puis Daesh lui succède. En France, les massacres de Charlie puis du Bataclan se suivent, puis bien d’autres. Tous fait au nom de l’Islam. Sur cette question comme sur celle du voile, bien des commentateurs, des théologiens avertis déclarent que ce n’est pas le vrai islam. Les athées et la plupart des anarchistes savent bien que ce genre de débats, tellement de fois répétés depuis le début du monothéisme, n’a pas de sens, chacun pouvant interpréter les textes dits sacrés à sa convenance. Ce qui reste malgré tout, ce sur quoi tous ces porte-paroles s’accordent, c’est de ne pas aborder la question des rapports sociaux.

Discours victimaires et questions de classes.
Sans aucun doute, le racisme est une plaie, une des plaies de notre société dite développée. Il s’exerce à l’encontre de celles et ceux dont la couleur de peau est différente de la nôtre, dont les noms résonnent étrangement dans nos mémoires, dont certains disent qu’elles ou qu’ils ne sont pas de souche. A ce qui peut relever à un moment de la xénophobie, s’ajoute l’idée, la certitude que nous - les Blancs (?) - sommes supérieurs, qu’elles ou ils sont inférieurs. Qu’au fond, il y a deux races d’humains. Cela suffit-il pour considérer que les uns sont les victimes des autres ? Pas à notre avis. Il reste que les groupes qui sont dans cet espèce d’irrédentisme identitaire ne posent pas la question sociale, comme s’il suffisait de régler la question du racisme pour passer dans une société plus juste. Leur discours trouve sa place dans un néolibéralisme ouvert aux problèmes sociétaux et qui le reconnaît en tant que tel. Il vient remplacer, avec succès, les messages du vieux monde ouvrier syndical qui n’a pu s’adapter aux modifications du capitalisme. Pourtant les classes sociales continuent à exister. A cette litanie du discours victimaire, il faut ajouter les notions de dominés et dominants, d’exploités et exploiteurs, de dirigés et de dirigeants. Il est tout à fait possible aujourd’hui d’être de culture ou de religion musulmane et d’être l’un de ces deux sujets.

Pierre Sommermeyer

PAR : Pierre Sommermeyer
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