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par Sylvain Boulouque le 30 octobre 2023

PAGES D’HISTOIRE N°39

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Visages de la soviétisation


De la prise de pouvoir par les bolcheviques jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le communisme au pouvoir a donné lieu à une transformation radicale de la Russie puis de l’Europe de l’est. Trois ouvrages reviennent sur certains des aspects de la soviétisation.





Nicolas Werth, l’un des meilleurs spécialistes de l’URSS, réédite son ouvrage sur les paysans russes. Publié un première fois il y a près de 40 ans, il y souligne les deux chocs qu’ont représenté la collectivisation sous Lénine puis sous Staline, qui se sont accompagnés d’une violence de masse rarement égalée, comme il le note dans la postface inédite. La structure de l’ouvrage originel n’a pas été modifiée. Il montre comment la collectivisation forcée a profondément modifié la structure traditionnelle des communautés villageoises. Les fêtes rouges par exemple ont remplacé les anciens modes de vie. De même, la propagande du parti a détruit les cadres de vie ancestraux au profit d’une nouvelle société fondée sur la peur et la propagande. La soviétisation s’est certes accompagnée d’un recul de l’analphabétisme mais aussi et surtout d’une répression systématique contre toutes les forces considérées comme hostiles. Après la guerre civile, la nouvelle économie politique laisse aux paysans un peu de répit mais dès 1928, la politique d’industrialisation forcée puis l’obligation d’entrer dans les fermes collectives ont contraint les paysans soviétiques à quitter leur village. Le coût humain de cette collectivisation a été faramineux – plus de 6 millions de victimes principalement en Ukraine et au Kazakhstan dus à la grande famine, alors que les greniers à blé étaient pleins. La postface souligne l’ampleur de cette tragédie où le pouvoir soviétique a agi de manière consciente et délibérée pour briser le monde paysan.




Dans un très beau récit, Barbara Skarga revient sur les conséquences de la Guerre en Pologne et en Lituanie. Née en 1919, elle est membre de l’armée clandestine polonaise, l’AK, la Résistance non communiste dont quelques membres ont aidé les combattants du Ghetto de Varsovie et de Vilnius. En 1944, l’armée rouge libère les territoires mais cernent et arrêtent les combattants non communistes pour les envoyer dans les camps sibériens. L’accusation infondée est d’avoir collaborée avec l’occupant. Barbara Skarga est arrêtée en septembre 1944, après un procès aussi expéditif que truqué, elle est envoyée au Goulag en 1946 après avoir passé près de deux ans dans les geôles du NKVD. Pendant 11 ans, elle partage la vie des zeks, les autres déportés. Elle décrit admirablement et avec simplicité les conditions de détention, la torture blanche – privation de sommeil, pression psychologique – auquel se livrent les policiers. Puis sa déportation dans les camps et les conditions de survie, les hiérarchies qui s’y sont créées. Par exemple, elle analyse la place de chacun est liée à sa possibilité d’avoir accès ou non à de la nourriture, à une place dans des dortoirs, accès à des biens de première nécessité ou à pouvoir prodiguer des soins. Elle consacre une part importante de son témoignage à la place des femmes dans les camps : les conditions d’insalubrité, la violence des truands qui contraste avec l’impossibilité d’avoir une vie affective. Enfin, elle souligne l’obligation faite aux zeks de se soumettre, le respect des consignes étant une des règles centrales de survie, l’obéissance, souvent feinte, permettant aux détenus d’être ignorés. En 1954, elle est libérée et assignée à résidence dans un kolkhoze, versée comme le disaient les contemporains du petit vers le grand Goulag, avant de pouvoir rejoindre la Pologne l’année suivante. Elle se lance alors dans des études de philosophie, qu’elle a enseigné à l’Université à la fin du communisme, tout en rédigeant ses mémoires dans lesquelles sa volonté de comprendre et de décrire le monde sont centrales.




Par ailleurs, Paul Lenormand dans un livre consacré principalement à la situation militaire en Tchécoslovaquie vient montrer comment elle s’est opérée à l’échelle d’un pays. Amputée de sa partie occidentale suite aux accords de Munich, la République est annexée en partie au Reich. La Résistance est initialement faible. Les combattants qui ont pu se réfugier à l’est sont soumis au contrôle rigoureux de l’appareil soviétique. Lorsque la Résistance s’étoffe et appelle à l’insurrection en 1945, elle est peu aidée par les alliés occidentaux, elle finit par faciliter les desseins de Staline qui souhaite instaurer une république populaire. Commence alors une soviétisation rampante. L’armée de libération est vidée de ses cadres non communistes, puis les fonctionnaires sont au fur et à mesure remplacés. Les arrestations suspectes se multiplient. Le coup de Prague en février 1948 donne la victoire finale au Parti communiste, dès lors l’armée totalement infiltrée par les cadres du NKVD contrôle et quadrille le pays. La quasi-totalité des non communistes sont évincés puis arrêtés.
Beaucoup subissent le même sort que Barbara Skarga alors que dans les campagnes, des scènes analogues à ce qui s’est passé en URSS se produisent.


Le communisme au village
Nicolas Werth
Les belles lettres 2023 488 p. 15 €
Une absurde cruauté
Témoignage d’une femme au goulag (1944-1955)

Barbara Skarga
Quai Voltaire 2023 444 p. 22 €
Tchécoslovaques en guerre
Paul Lenormand
Passés Composés 2023 350 p. 23 €
PAR : Sylvain Boulouque
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