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Littérature
par Patrick Schindler • le 7 mars 2020
mars, le rat noir de la bibliothèque est de retour
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Rubrique à parution aléatoire, Le rat noir de la bibliothèque vous propose les livres que le ML aura lus et aimés. Que la lecture de ces recensions vous donne l’envie de lire les livres proposés.
L’étonnante histoire du Bus des femmes prostituées
« Dire que ces vaches de bourgeois les appellent les filles de joie, c’est pas tous les jours qu’elles rigolent, parole ! »… Il est certain que le quotidien des prostituées n’a rien de drôle, d’autant qu’elles doivent faire face aujourd’hui à une répression vigoureuse et de nombreuses agressions. La première tentative de prise de parole collective des prostituées pour protester contre la répression policière date de 1975, lorsque 60 d’entre elles ont occupé l’église Saint-Nizier à Lyon, soutenues à l’origine par des militantes du MLF et de l’association du Nid, chargée de la réinsertion sociale. (Au passage, signalons qu’il faut faire le distinguo entre l’Amicale du Nid, -l’association d’origine crée par un prêtre rejoint par des travailleurs sociaux mais qu’après une scission en 1971, entre les catholiques bénévoles imposant aux filles l’arrêt de la prostitution est devenu le Mouvement du Nid- et les travailleurs sociaux qui ont gardé le nom de l’Amicale du Nid et travaillent dans le respect du projet de la personne.).
Ce distinguo est important pour la suite de l’histoire car, autant les féministes que les militantes abolitionnistes du Mouvement du Nid ont rapidement fait marche-arrière et retiré leur soutien aux prostituées de Lyon car pour elles, "Il n’était pas question d’aborder le sujet de leur statut et de conforter le système prostitutionnel".
Elles se rejoignaient sur l’idée que la prostitution devait être abolie. Auxquelles les prostituées leur répondirent : « On a le droit de se révolter, nous sommes des femmes comme les autres. » Le mouvement s’effrita donc, faute de soutien tandis que l’urgence quotidienne de leur condition à laquelle les prostituées devaient faire face, les ramena purement et simplement sur le trottoir sans autre choix que de rester anonymes et se faire discrètes.
Tout changea avec l’apparition du sida dans les années 80 qui ouvrit la porte à tous les dérapages, tel celui d’un JM Le Pen qui voulait tatouer les séropositifs homosexuels ou encore celui au sujet des prostituées, qui furent désignées comme des « réservoirs à sida », sans parler des plus marginaux toxicomanes eux aussi touchés par la maladie à cause des échanges de seringues...
Face à cette situation d’urgence, le 27 novembre 1990, afin de sortir de l’ombre, les prostituées inaugurent sans la présence des médias, le Bus des Femmes. Le concept est simple, il s’agit de donner un lieu d’accueil et de paroles aux filles de la rue Saint-Denis (autre que les sempiternels lieux misérabilistes de l’accueil social, religieux ou non) et de faire prendre conscience à toutes la nécessité de l’accès aux soins.
Ce projet, issu de la prise de parole individuelle des prostituées par le biais de 50 lettres manuscrites individuelles adressées au ministre de la santé, a été mené grâce à une association avec des chercheurs afin de réaliser une enquête sur leurs besoins de santé, de prouver pour la première fois qu’elles étaient en mesure de démontrer que la très grande majorité d’entre elles se protégeaient et protégeaient leurs clients face aux MST et face aux ravages du sida.
La sociologue Anne Coppel, qui se mit au service de ce projet de recherche-action, nous rappelle dans une première partie de l’ouvrage, toutes les difficultés auxquelles le Bus des femmes dû faire face avec l’atomisation des lieux de prostitution, la gentrification de la rue Saint-Denis située dans le nouveau quartier du Marais, leur expulsion vers les boulevards périphériques puis dans les bois et forêts entourant la capitale, livrées à elles-mêmes et sans protection. Il fallut aussi beaucoup de patience pour décider ces prostituées à décrire leur quotidien dans ces lettres. D’autant que les proxénètes, les clients ou les agents de contrôles sociaux et législatifs se mobilisaient pour interdire la prise de parole des femmes en les maintenant dans leur statut forclos de prostituées, c’est-à-dire : « Une femme qui se tait ». Une éducatrice du Mouvement du Nid prétendant encore que « Le sida, comme hier la syphilis servait d’alibi à une mainmise des pouvoirs publics sur la prostitution et à un contrôle de son exercice et de ses manifestations par le biais de la surveillance médicale des personnes prostituées »…
Mais malgré tous ces obstacles, huit grands cahiers jaunes à la couverture toilée circulèrent rue Saint-Denis et au-delà, sur les périphériques ou chez les marcheuses des Champs-Elysées, dans lesquels les femmes se racontèrent dans des «lettres de confidences » pour témoigner des conditions d’exercice de leur métier. Une parole rare, fragile qui fait surgir une réalité diverse et incarnée, violente et ordinaire pour les prostituées : leur bataille pour imposer le préservatif aux clients, leurs peurs et les rivalités entre les anciennes et les nouvelles venues d’autres continents, mais qui souligne également une exigence collective de droits, de reconnaissance sociale et de dignité.
Une seconde partie de cet ouvrage dégagé de tous fantasmes et de débats arbitraires, nous propose la lecture de dix-sept de ces lettres individuelles ossature d’un document extraordinaire qui déboucha sur la création du Bus des femmes.
La dernière partie de l’ouvrage propose un entretien avec Lydia Braggiotti qui fut la cheffe de ce projet et enfin les commentaires de Malika Amaouche, héritière avec Act-Up de ce combat pour la dignité de la personne prostituée et la reconnaissance de ses droits…
Un livre précieux pour qui veut se faire une idée impartiale de ce sujet grave de société.
Le Bus des Femmes prostituées, histoire d’une mobilisation d’Anne Coppel, Malika Amaouche et Lydia Braggiotti, éd. Anamosa, 20€, disponible à la librairie Publico, 145 rue Amelot 75011 Paris.
Gustav Regler : Le glaive et le fourreau
Gustav Regler est, sans doute avec Erika et Klaus Mann, un des maîtres de la « exilliteratur » (ou littérature de l’exil) allemande dans les années 30 à 40. Son autobiographie Le Glaive et le Fourreau, introuvable depuis les années 1960 vient d’être réédité par le groupe des éditions Actes Sud.
Il s’agit d’un témoignage d’une acuité bouleversante sur la République de Weimar, la montée du nazisme, sa désillusion au sujet de l’URSS stalinienne et la boucherie de la guerre d’Espagne. Rien ne prédisposait pourtant le petit Gustav à devenir un militant clairvoyant et infatigable. Né en 1898, fils de libraire, il a la jeunesse typique d’un fils de catholique de la Sarre. Il nous raconte ensuite avec véracité ses épisodes de jeune soldat, tandis qu’âgé de 16 ans en 1914, il s’engage et est blessé et gazé en France. Après-guerre, alors que l’Allemagne est en pleine reconstruction, il ne sait que faire et se laisse entraîner dans les rangs des sociaux-démocrates contre les spartakistes. Mais, trop humaniste, il est profondément révolté par l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg. Il décide alors de terminer ses études d’histoire et de philosophie et fréquente les universités de Munich et Heidelberg. Il obtient son doctorat en 1922, pour sa thèse Die Ironie im Werk Goethes (L’Ironie dans l’œuvre de Goethe). Il tombe amoureux et épouse assez rapidement Charlotte Dietze, fille d’un magnat de l’industrie, ce dernier le soudoyant aux affaires dans une Allemagne dopée par l’appât du gain et les dollars du plan Dowes.
Mais très vite, Regler s’aperçoit qu’il n’est pas du tout fait pour cette vie-là. Il divorce, abandonne à regret son fils aux bons soins de Charlotte et de sa famille de privilégiés. Sa manière de nous raconter ses espoirs et désillusions est tout à fait incisive et sans concession y compris pour lui-même, c’est un vrai régal.
C’est en choisissant une vie plus marginale qu’il publie son premier ouvrage qui est bien reçu des critiques. En 1929, il emménage dans un quartier interlope de Berlin avec Marie-Luise Vogeler, la fille du peintre socialiste utopique. Il adhère au KPD (Parti communiste allemand) pensant tout simplement que : « C’est la seule solution à la crise. » Après l’incendie du Reichstag le 28 février 1933, il fuit la Gestapo et se réfugie dans sa Sarre natale. C’est l’occasion pour Regler de nous entraîner avec un talent narratif très personnel et avec un style toujours aussi caustique dans les intrigues du plébiscite sarrois de 1935 qui entraînera la province dans le Reich nazi, à 90 % des voix.
Ecœuré, comme beaucoup d’antinazis, Regner s’exile à Paris. Étonné que son nom ne fasse pas partie des ennemis de l’Allemagne, il finit par se trouver en bonne position sur la liste des indésirables. Il est invité plusieurs fois en URSS au Congrès des écrivains (tout comme Klaus Mann qu’il y croise), mais grâce à la clairvoyance de Marie-Luise et de sa belle-sœur, il s’aperçoit rapidement que le pays tombe dans l’autoritarisme sous la domination du tyran obsessionnel Staline. Admirateur, entre autre, de Tchékov, ses descriptions de Stalingrad et de Moscou sont d’un réalisme à couper le souffle. Klaus Mann qui le croise au Congrès dira de lui : « Certes on sentait chez Regler du zèle militant pour le communisme, mais aussi une certaine appréhension. »
Deux ans plus tard, Retour d’URSS d’André Gide va faire un véritable scandale chez les communistes et confirme les appréhensions de Regler. Pour échapper à cet enfer, il s’engage dans les Brigades internationales des apatrides. Là aussi, sa vision de l’événement est acerbe. Regler devient de plus en plus intransigeant vis-à-vis de l’URSS et encore plus après la signature du Pacte Germano-soviétique entre Hitler et Staline, en été 1939. D’autant que Staline le nouveau Tsar se désintéresse totalement du sort d’un État où il serait contraint de pactiser avec des anarchistes et des socialistes.
Sa version de la Guerre d’Espagne est des plus intéressantes. Une fois encore, il ne fait aucune concession ni sur les forces fascistes de Franco, ni sur la désorganisation qui règne dans les rangs des Républicains. L’ensemble de son récit abordant cette période sombre est mordant, sans aucune autosuffisance, mais empreint de beaucoup d’humanisme.
Sa fin, qu’il raconte en détail et sans aucune pudeur nous entraîne dans son séjour aux États-Unis où il fait de la propagande antinazie et antifranquiste, puis de retour en France, sous le régime de Vichy et son internement au camp de Vernet en Ariège, en tant qu’apatride dans des conditions plus qu’inhumaines. Son récit énergique montre un homme clairvoyant et qui fait beaucoup penser au Tournant et au Volcan de Klaus Mann. Deux auteurs incontournables.
Gustav Regler Le glaive et le fourreau, éd. Babel, disponible à la Librairie Publico, 145 rue Amelot 75011 Paris
Patrick Schindler, groupe Botul de la FA
PAR : Patrick Schindler
Groupe Botul
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