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par Patrick Schindler le 21 février 2021

Librairie athénienne. un message du rat noir

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Le Christ recrucifié et Le lys et le serpent de Nikos Kazantzakis,
Ce qui reste de la nuit d’Ersi Sotiropoulos
Stéphane Sangral : Infiniment au bord.


Toujours planqué dans sa librairie française d’Athènes, le rat noir a découvert de nouveaux trésors...




Nikos Kazantzakis est né en 1883 à Héraklion, en Crète. Lors de la révolte de l’île minoenne, la famille se réfugie sur l’île de Naxos. Nikos devient docteur en droit à l’Université d’Athènes et publie son premier roman Le lys et le serpent en 1906. Il part ensuite à Paris où il suit les cours d’Henri Bergson et s’intéresse à l’œuvre de Nietzche. Il rentre en Grèce en 1910 et s’engage sur le front durant les guerres balkaniques. En 1917, il fait la connaissance d’Alexis Zorba, futur héros de son roman éponyme. Nommé secrétaire général du Ministère de l’assistance publique , il est chargé du rapatriement de la population grecque du Caucase au lendemain de la révolution russe. De 1925 à 1928, il séjourne en URSS en compagnie de l’écrivain Panaï Istrati et voyage dans toute l’Europe. Après-guerre, il publie Alexis Zorba et s’installe en France où parait Le Christ recrucifié en 1948. En 1955, La dernière tentation du christ est mise à l’index par le Vatican. Nikos Kazantakis voyage beaucoup, mais atteint de la grippe asiatique, il meurt en octobre 1957 à Friboug. Il est inhumé le 5 novembre sur les remparts d’Héraklion. Le clergé ayant interdit son enterrement au cimetière, on peut lire encore aujourd’hui cette épitaphe sur sa tombe : « Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre » … Kazantzakis est principalement connu du public français grâce au film Alexis Zorba dans lequel son héros est interprété par Antony Queen. Pourtant, son talent est loin de s’arrêter là…

Le lys et le serpent




Ce petit recueil (éd. Kambourakis, 10€) a été écrit par Nikos Kazantzakis en 1906, alors qu’il n’était âgé que de 23 ans. Il se présente sous la forme d’un journal intime livré au jour le jour par un jeune peintre talentueux, meilleur ami du narrateur. Le héros nous livre dès la première page les sentiments excessifs et bestiaux qu’il voue à sa partenaire : « Il me semble que ses lèvres rouges sont deux gouttes de sang et quand je me penche sur elle et les baise, un désir sauvage, un violent instinct anthropophage d’un âge primitif se déverse dans mes veines – et je frissonne tout entier et je crois sucer la chair humaine dégoulinante de sang. » Le ton est donné. Nous pénétrons alors au plus profond de l’intimité de cet amour extrême jusqu’à se transformer en force maléfique comme « la fleur se courbe quand le ciel lui donne trop de rosée. » Une course à l’abîme, un dérèglement des sens où petit à petit, le lys va se transformer en monstre. Quel peut-être l’aboutissement d’un tel excès ? La clé de l’énigme, l’apothéose de ce conte symboliste ne nous est livrée que dans les dernières pages par le narrateur.

Le Christ recrucifié




L’action du Christ recrucifié (éd. Babel, 11€50) se déroule probablement en Asie mineure pendant la guerre gréco-turque de 1920 à 1922. Les combats menés contre l’occupant par la résistance et les représailles qui s’ensuivent déracinent des milliers de personnes. Mais dans son roman, Kazantzakis fait également référence à la guerre civile qui déchira la Grèce entre 1946 et 1949 entre paysans sédentaires et rebelles déracinés, devenus itinérants et indésirables, source d’un conflit fratricide. On doit aussi probablement Le Christ recrucifié aux années d’exil de Kazantazakis, accusé de complicité avec Moscou à cause de ses séjours en URSS. Aussi, lorsque son roman parait en 1948, certains grecs fomentent une cabale contre lui pour le priver du Prix Nobel de littérature. Ce roman philosophique débute sur le balcon où l’agha du petit village de Lycovryssi -qui a pour mission de surveiller les villageois grecs sous domination ottomane- fume son chibouk et boit son raki tout en caressant lascivement Youssouf, son petit mignon. Sous son balcon, les anciens du village, du pope à l’instituteur (tous plus égoïstes, veules, lâches et manipulateurs les uns que les autres), sont réunis pour reconstituer un tableau vivant de la passion du Christ, à l’occasion de la fête de la résurrection. Reste à trouver les acteurs pour en incarner les protagonistes, le Christ, les bons apôtres, Judas le traître et Marie Madeleine. Bon an, mal an, ils y parviennent. Tout s’annonce donc pour le mieux, alors que débarquent dans le village des perturbateurs, un groupe de réfugiés grecs, démunis et affamés chassés de leurs terres par les Turcs et qui cherchent un coin tranquille pour s’y installer. Ces « étranges étrangers » vont totalement bouleverser les rôles des uns et des autres et les entraîner dans un tourbillon infernal d’intransigeance et de violence. Le Christ sera-t-il recrucifié ? Dans son roman, Kazantzakis nous entraine dans une intense réflexion sur la question de l’immigration, terriblement redondante et toujours hélas, si actuelle…

Ce qui reste de la nuit…




Dans son essai Ce qui reste de la nuit (édition le livre de poche, 7,70 €, traduit du grec par Gilles Decorvet), la romancière-poétesse Ersi Sotiropoulos, nous invite à partager le voyage que firent à Paris, le poète grec Constantin Cavafy et son frère aîné, John en 1897. Il s’agit d’un récit fictif constitué à partir d’un immense travail de recherche, puisque Cavafy n’évoqua jamais les détails de ce voyage. Il a la principale qualité de nous rendre un jeune Cavafy bien vivant durant ce séjour parisien, en juin 1897, peu de temps après la guerre gréco-turque, période on ne peut plus difficile pour une Grèce humiliée et endettée. Lorsque le jeune poète et son frère débarquent à Paris, l’affaire Dreyfus déchire la ville au point de la scinder en deux camps irréconciliables. Ils vont donc naviguer à vue dans la « ville lumière », évitant ses écueils et découvrant ses apparences et ses dessous cachés. Les endroits malfamés où l’absinthe coule à flot, ainsi que les plaisirs artificiels et de la chair. Ils y croisent des personnages bavards, sulfureux et autres ampoulés « suceurs de salons ». Mais au cours de son récit, Eris Sotiropoulos nous fait surtout pénétrer dans l’intimité du jeune Cavafy, déjà obsédé dans ses rêves par ses démons, la vieillesse, la déchéance et la mort. Thèmes centraux de l’œuvre de ce grand poète qui n’accéda à la célébrité qu’à la fin de sa vie. Une réussite.

Stéphane Sangral infiniment au bord !




Le rat a également reçu à Athènes, le dernier livre que Stéphane Sangral lui a fait parvenir, grâce à la complicité de ses congénères postiers. Car loin sont les humains d’imaginer que nous les rats, avons aussi nos services postaux. Infiniment au bord (Soixante-dix variations autour du Je) - (éd. Galilée,15€) est le dernier recueil de poésie écrit par Stéphane Sangral. Découvrir la poésie de Sangral n’est pas une démarche anodine. Le lire, c’est un peu comme essayer d’étancher une soif d’éternel. Dans sa dernière parution, il nous envoie une double résonnance du plus profond de lui-même. Ce livre se démarque des précédents par une démarche esthétique renforcée, soit, mais aussi une calligraphie élaborée, travaillée et retravaillée, comme une chorégraphie. Unissons, contrastes, répétitions, variations, canons, successions, accumulations, circonvolutions, ellipses, boucles, nœuds, collets, et même : blancs… A tel point que, spectateurs effarés, on en vient à plaindre ses correcteurs et son éditeur tant le graphisme - heureusement pour eux, limité par les possibilités des lettres de son clavier (italiques, gras, soulignés, parenthèses, entre crochets, signes divers) - se décline en autant de cascades de mots, d’escaliers à monter ou à descendre, de formes, de demi-formes, de di-formes, de spirales et même, d’éventails. Impossible donc de rendre ici un aperçu typologique, typographique. Contentons-nous, voyeurs, de jeter un œil, non sur la forme donc, mais sur le fond. Fond de texte statique, certes, mais lui aussi chargé de sens et d’images...

« Au bord de ma forme
je
regarde
le brouillard informe qui regarde
ma forme lourde qui le regarde
me regarder…
Au bord de la nuit
l’informe me remplace et regarde
l’impossible regard qui regarde
son propre regard qui se regarde
regarder la forme de la nuit…
»

A lire et relire infiniment, Infiniment au bord, à force de suivre Stéphane Sangral à la recherche de son « Je » et donc par la force des choses, notre « Je » de lecteurs, on s’y perd. De guerre lasse, je me suis contenté de suivre sa musique. Musique sublime-sublimée, fascinante, obsédante, répétitive, hallucinante…

« Les frontières du Je sont des êtres à part
entière
des voisins que je n’ai jamais vus
mais que j’entends
car ils squattent mes murs
bavards
à noyer tous mes mots
et je n’ai pu les chasser
et lassé c’est souvent moi qui pars…
»

Alors ? Suis-je passé à côté du « Je » de Sangral et donc de mon « Je » de lecteur ? Sans doute. La faute au fait peut-être, que depuis que je vis en Grèce, je n’accorde plus la même importance au mot « Je ». Il n’existe pas vraiment dans la langue grecque moderne. Il se noie plutôt dans le verbe ou se confond avec le « moi » (ego). Un Grec chercherait-il moins son « Je » que ne le fait un Français ? Sur la dernière page de son recueil, Stéphane Sangral, semble nous donner peut-être une piste :
« une seule photo me représente bien
celle prise le jour où je n’étais pas là
il y avait du vent tout le monde était là
j’étais un peu ce vent et je me sentais bien
»

Patrick Schindler, individuel Athènes







PAR : Patrick Schindler
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1

le 25 février 2021 11:58:29 par Max

Merci Patrick de nous faire découvrir des auteurs.

2

le 26 février 2021 11:23:44 par Pat

Cher Max,
Mais, j’y prends tout autant de plaisir et ce n’est qu’un début : tellement de choses encore à découvrir dans la merveilleuse littérature grecque moderne ...