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Littérature
par Patrick Schindler le 13 septembre 2021

La rentrée du rat noir

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Des passagers clandestins se sont mélés à cette chronique littéraire...
LeCRML


O Kyklos tou Nerou-Mia Thalassa/Theodorakis- Manta -Ionatos

Début septembre, le Rat noir, vous propose un premier arrêt sur l’ile de Corfou, avec Constantin Théotokis ; puis, de retrouver le commissaire Charitos (de Petros Markaris) qui enquête cette fois-ci, à Istanbul ; petit tour Après minuit dans l’Allemagne de 1936, avec Irmgard Keun; dans le Chicago des années de la Prohibition avec Saul Bellow ; et enfin, retour sur cette tragique journée du 17 octobre dans ce Paris « où l’on noya les Algériens ».

Constantin Théotokis, l’honneur et l’argent




Nous avons déjà croisé Konstantin Théotokis dans une précédente rubrique. Personnage contradictoire, s’il en est. Né en 1972 à Corfou, descendant d’une grande famille byzantine aristocratique, Théotokis étudie les mathématiques et la physique à la Sorbonne en 1889, avant de revenir à Corfou et d’épouser une aristocrate austro-hongroise. Beau parti qui lui permettra de vivre aux crochets de sa fortune. En 1896, il s’engage comme combattant volontaire en Crète. « Eternel étudiant », (il parle une dizaine de langues), il est également un traducteur réputé des œuvres de Shakespeare, Flaubert, Goethe, Heine, en grec. En Allemagne, il se lie d’amitié avec l’écrivain grec Constantin Chatzopoulos, membre du parti social-démocrate allemand qui l’initie à la pensée socialiste. De retour à Corfou, il s’engage aux côtés de Venizélos, renonce à l’héritage paternel et à son titre, participe à la fondation du parti socialiste grec et fonde un groupe socialiste corfiote. « Symboliste décadent », il écrit Le Peintre d’Aphrodite en 1904, publié en 1905 sous le titre Apellis (Apelle). Il accèdera plus tard à la notoriété avec ses nouvelles paysannes (Histoires corfiotes).




On a souvent comparé Théotokis à Guy de Maupassant, à juste raison. Hormis le lieu. La terre de Haute Normandie du second étant remplacée ici par la terre corfiote. Passons à l’intrigue. Siora Espistinis est une femme du peuple qui « gagne son pain à la sueur de ses doigts » dans une fabrique de textile de la capitale de l’île de Corfou afin de nourrir ses trois filles, son fils et un mari feignant et alcoolique qui « bouffe la ferme » à la taverne du Faubourg. Rini, la fille aînée de la fratrie, aide sa mère en travaillant dur à la maison pour le compte de la fabrique. Un beau soir, entre en scène le bel Andreas qui lui, fait partie d’une famille de la catégorie supérieure des « propriétaires », mais ruinée par une conjoncture défavorable (on ne peut s’empêcher d’y voir une similitude avec la famille de Théotokis). En apercevant Rini, il en tombe raide amoureux. Si les dés sont jetés, leur amour leur permettra-t-il de transcender leurs conditions sociales ? Rini pourra-t-elle dotée ? C’est en effet là, le point d’achoppement de cette nouvelle. Car seule une dote pourrait sauver de la déchéance totale, la famille d’Andreas.

Parallèlement à l’intrigue, l’intérêt du récit se trouve renforcé par le contexte politique et social dans lequel se trouve l’île de Corfou à cette époque. Soumise aux désidératas d’une lointaine Athènes qui interdit le braconnage, seule ressource des familles pauvres corfiotes (et dont vit la famille d’Andréas). De plus, dans cette atmosphère délétère, nos deux héros vont devoir affronter les yeux de l’opinion publique, « pur jus grec », ceux inquisiteurs des commères du Faubourg qui « veillent au grain » et surveillent de près « l’honneur des jeunes filles ». Atmosphère délétère donnant lieu à de belles scènes, bien trempées d’ambiance locale, sur la place face à la mer, où s’agglutinement les matrones qui se mêlent « de tout et de rien, tandis que descend la fraîcheur du soir ». Sans parler des scènes qui se déroulent dans la taverne du Faubourg, fréquentée elle, par les hommes. La nouvelle se termine en apothéose. Véritable feu d’artifice dont vont bénéficier marchands, portefaix, vieux aristocrates, nouveaux riches, commerçants, et petit peuple. En bon conteur qui n’a effectivement rien à envier au Maupassant d’Une Vie, Théotokis nous tient en haleine jusqu’à ce déroulement bien « humain ». Car, à Corfou ou en Normandie, les fées n’existent que dans l’imaginaire.

Petros Makaris et L’empoisonneuse d’Istanbul




Petros Markaris, déjà présenté dans une précédente rubrique, est un écrivain dramaturge grec né en 1937, à Istamboul. Il vit actuellement à Athènes. Il est notamment connu pour sa série de romans policiers mettant en scène son héros, le désopilant commissaire Kostas Charitos. Il est aussi le scénariste du film L’Éternité et un jour de Theo Angelopoulos, Palme d’or du Festival de Cannes 1998.




Quel plaisir de retrouver l’atypique et pourtant tellement grec, commissaire Kostas Charitos dans L’empoisonneuse d’Istanbul (éd. Points, 7,50€). Nous l’avions précédemment laissé à Athènes. Nous le retrouvons ici à Istanbul dans les années 1990, tandis qu’ils font avec sa « chère femme », -Adriani, la bourrue-, un voyage organisé dans la capitale turque (encore appelée aujourd’hui Constantinople par les Grecs). Charitos a accepté de faire ce voyage pour calmer les nerfs de sa femme très contrariée car leur chère fille (chouchoutée par son père) refuse de se marier à l’église, ce qui, en bonne Grecque, contrarie fortement Adriani.

Les premiers chapitres nous conduisent à travers la ville d’Istanbul. Ville qui a beaucoup changé depuis le départ massif des Grecs, Arméniens et juifs, poussés en dehors, en septembre 1955, après les accords internationaux. Bien évidemment, les belles vacances du couple sont brusquement compromises tandis qu’un écrivain apprend par une indiscrétion, que Charitos est un flic grec. Il lui explique qu’il se trouve à Istanbul parce que, Maria, son ancienne nourrice, (devenue une vieille femme de 90 ans qui vit à Thessalonique) a disparu. Il supplie Charitos de l’aider à la retrouver, car il semblerait que celle-ci ait quitté la Grèce et se trouverait elle aussi, à Istanbul. Charitos hésite, mais finit par accepter lorsqu’il apprend que le frère de Maria a été retrouvé empoisonné, par une « pitta ». Serait-ce Maria l’empoisonneuse ? Pourquoi aurait-elle fait ça ? Comme l’empoisonnement a eu lieu en Grèce, Charitos contacte la police turque qui accepte que ce dernier suive l’enquête conjointement avec elle. Mais comment retrouver cette fameuse Maria parmi les 2 000 derniers Grecs (appelés « Roums » par les Turcs) qui vivent encore à Istanbul ? L’affaire se corse tandis que l’on apprend qu’un second empoisonnement à la pitta a eu lieu dans la ville. Parallèlement à l’enquête, Charitos doit également faire face au caractère impétueux de sa femme qui ne veut pour rien au monde gâcher ses vacances. Et cela ne va pas sans heurts. Voici pour l’intrigue.

Ce qui est remarquable dans les polars de Petros Markaris, c’est le soin qu’il met à nous faire découvrir le caractère très spécial des Grecs, à travers ses personnages. Leurs qualités et leurs nombreux défauts (souvent explicités par la qualité des notes de la traductrice, Caroline Nicolas). Dans ce polar-ci, Markaris s’intéresse plus particulièrement à la petite communauté de « Grecs pontiques » vivant encore de nos jours à Istanbul. Leur histoire, leurs rivalités internes. La haine que certains d’entre eux, ceux qui ont résisté, portent à ceux qui sont soupçonnés d’avoir collaboré avec les Turcs après 1955. Au sujet de la collaboration : « Le pot de terre dans lequel est planté le basilic profite autant que lui de l’arrosage » … Dans le polar, Markaris nous en apprend également sur les dessous de la société turque moderne. La peur des flics, les magouilles en tout genre. Tout ceci non dépourvu de l’humour ravageur du commissaire. Un seul exemple. Lorsque Charitos, durant l’enquête, déjeune au restaurant avec un flic Turc ayant longtemps vécu en Allemagne auquel il demande : « Comment fais-tu pour résister à la si tentante et délicieuse nourriture turque ? » L’autre de lui répondre : « Pourquoi crois-tu que je tienne autant à la cuisine allemande ? Parce qu’elle ne te donne jamais l’envie d’en reprendre davantage » …

Ο Ήλιος ο ηλιάτορας - Hymne au soleil (poèsie Od. Elytis - musique: A.Ionatos)

Irmgard Keun : Après minuit !




Irmgard Keun est née à Berlin en 1905. Elle a connu un destin aussi « romanesque que ses romans ». Elle entame une carrière d’actrice avant de se tourner vers l’écriture, encouragée par Alfred Döblin. Mais après la prise du pouvoir par Hitler, ses livres sont interdits et brûlés, car jugés par les nazis « trop libres, trop féminins, trop féministes ». Elle choisit l’exil en 1936, fuyant un mari aux sympathies nazies et se lie avec l’écrivain juif autrichien, Joseph Roth. Elle publie Après minuit, grâce à un éditeur allemand, exilé aux Pays-Bas. Elle fréquente d’autres écrivains antinazis en exil, dont Hermann Kesten, Stefan Zweig et l’anarchiste Ernst Toller. Après la mort de Roth en 1940, elle se fait passer pour suicidée et rentre clandestinement en Allemagne pour rejoindre ses parents. Malheureusement, après-guerre, manquant d’argent, elle tombe sous la dépendance de l’alcool et ne retrouvera jamais sa plume d’antan.




C’est en lisant Klaus Mann ou le vain Icare de Patrick Schindler, que le Rat noir a découvert la personnalité haute en couleur d’Irmgard Keun et a lu son roman, Après minuit (éd. Belfond, 17€). Roman dont Klaus Mann (ils avaient beaucoup d’amis en commun) fait l’éloge à plusieurs reprises dans ses articles et qualifie son auteure « d’excellente écrivaine ». En effet, le style d’Irmgard Keun est unique et révèle toute sa puissance dans Après Minuit.

Son héroïne, Suzon, est une brave fille, originaire d’un petit village de la région frontalière moisselloise de l’Allemagne. Elle va se révéler, au fil du roman, n’être finalement pas aussi « cul-cul » qu’elle parait. Nous la suivons dans son quotidien, durant les années de l’arrivée au pouvoir du petit moustachu nazi. Elle quitte sa famille et son village pour travailler tout d’abord chez sa tante Adélaïde à Cologne. Mais sous le prétexte que Suzon a fait une réflexion, pourtant bien innocente, mais « déplacée » sur le führer, la tante se fâche avec elle. Mais ce n’est pas tout, car l’amie de sa tante, témoin de la scène ne fait pas moins que d’aller la dénoncer à la Gestapo. Suzon n’a plus qu’à fuir. Après cette aventure « la brave fille » commence à ouvrir les yeux sur la réalité de cette « nouvelle Allemagne ». Elle retrouve à Frankfurt, ses originales amies d’enfance, Gerti et Liska, ainsi que son demi-frère Algin, écrivain « d’un certain talent », mais ostracisé par les nazis car trop subversif. Malgré leur présence réconfortante, Suzon doit apprendre à vivre dans un pays où chaque jour, l’étau se resserre un peu plus sur les « ennemis du régime », avant que tout le monde finisse par devenir un « ennemi potentiel ».

Voilà pour ce qui concerne l’intrigue. Mais, la véritable magie de ce livre est de nous montrer l’envers du décor nazi à travers les yeux de la naïve et « très cash » Suzon qui, par exemple, un soir se regardant dans une glace, se dit : « C’est tout de même malheureux de n’être belle que pour soi seule ». Quel enchantement de suivre cette jeune femme qui aime tant la vie et les gens, ce qui ne l’empêche nullement de s’intéresser de plus en plus près à la signification de ce qu’elle voit. Chaque page nous révèle un côté attendrissant et sympathique de cette fille simple. Qui se demande, entre autres, pourquoi faut-il haïr les juifs ? Suzon, incommodée par l’omniprésence des SA dont « le bruit incessant l’agresse ». Qui n’aime pas non plus entendre les discours de ce führer « qui passe son temps à se faire photographier ». Et qui, quand ce dernier « vocifère », a l’impression qu’il l’engueule, elle ! Elle se demande aussi pourquoi tant d’Allemands disent du bien de Mein Kampf, alors qu’ils ne l’ont pas lu, d’ailleurs plus qu’ils n’ont lus Nietzche ou Goethe… Dans ce pays « où l’on n’a pas le droit d’être contre la guerre » !

Derrière ce personnage attachant, Irmagard Keun vise ces Allemands qui voyaient tout, mais étaient bien obligés de se taire, comme le fait d’ailleurs aussi une Suzon, plus que choquée par des scènes violentes. Ainsi lorsqu’une petite fille idiote qui a offert un bouquet au führer, finit par être la victime de la cruauté jalouse et hystérique d’une foule versatile et hystérisée. Allemands, plus bêtes que méchants et plus méchants que bêtes. Ainsi, ce pilier de comptoir qui croit avoir invité une baguette magique pour reconnaître les juifs ! Heureusement, Suzon croise également des Allemands qui résistent. Suzon qui voit tout, enregistre tout et essaye de comprendre pourquoi l’air de son pays a été empoisonné par les nazis. Heureusement, le roman est parsemé de petites phrases qui tombent comme autant d’évidences, renfermant des perles d’une « naïveté chatoyante ». Après Minuit est roman magistral, paru en 1937, certes à l’étranger, mais en pleine ascension de ce qui devait bientôt devenir le pire … Il se termine sur cette belle phrase, pleine d’espoir : « Faites que demain nous apporte un peu de soleil » !

Saul Bellow et les aventures d’Augie March




Nous avons déjà croisé à deux reprises Saul Bellow dans cette rubrique. La première fois, à propos de son Faiseur de pluie et la deuxième, de son Mr. Herzog. Bellow est né à Lachine (Québec) en 1915, dans une famille d’immigrés juifs-russes. Elevé à « l’école de la rue » dans ce quartier habité par des Russes, des Polonais, des Ukrainiens, des Grecs et des Italiens. Après la mort de son père (bootlegger), la famille déménage à Chicago. Son père meurt jeune, un grand chagrin pour lui. Il entreprend ensuite des études d’anthropologie et de sociologie qu’il abandonne pour se consacrer uniquement à l’écriture. Après cinq divorces, il se marie avec une ex-étudiante de trente ans sa cadette, avant de décéder en 2005. Ses racines canadiennes hantent la plupart de ses grands romans dans un style où l’argot se mêle à la métaphysique juive.





Les aventures d’Augie March
(Prix Pulitzer, éd. Folio) commencent sur ce mode on ne peut plus incisif : « Je suis un américain natif de Chicago. Je ferai le récit à ma manière : premier à frapper, premier à entrer. Un coup parfois innocent, parfois moins innocent. Mais le caractère de l’homme est son destin, dit Héraclite, et à la fin il n’y a aucun moyen de camoufler la nature des coups par une isolation acoustique de la porte ou un gant sur le poing. Quand on tait une chose, on tait forcément la suivante. » Le ton est donné. Réalisme cru mêlé de tendresse.

Augie March, le héros du livre, orphelin de père, vit à Chicago dans les années 1920, celles de la Prohibition. Au sein d’une famille chaperonnée par Grand Ma, vieille baba juive-russe immigrée d’Odessa. Haute en couleur, omniprésente et assénant à longueur de journée des jugements à l’emporte-pièce sur tout ce et tous ceux qui l’entourent : « Quand on a un ami Hongrois, on n’a pas besoin d’ennemi. » Augie, fils illégitime d’un voyageur de commerce a deux frères, un grand, Simon et Georgie, plus petit, « un peu faible d’esprit ». Sa mère « Mama » est une femme effacée, dépassée par la vie et ses enfants dans ce quartier cosmopolite et populaire de Chicago. « Il n’y a pas eu de civilisations sans ville. Mais qu’en est-il d’une ville sans convictions ? » Quartier où il se passe toujours quelque-chose. Où les petits Polonais pourchassent la poignée de petits juifs qui y vivent et les battent en tant « qu’assassins du Christ ». Où les petits voyous en herbe, grandissent entourés de voisins plus cocasses et atypiques les uns que les autres. Ils n’ont la plupart d’autre choix que de travailler en dehors de l’école pour mettre un peu de beurre dans leurs épinards « Popeye ». Simon, le grand-frère au « tempérament oriental », généreux et qui « aurait préféré partir sans payer que de quitter un petit resto sans laisser un bon pourboire ». Augie qui lui, à l’âge de la puberté, barbote dans la caisse et accepte d’être puni « à bon droit » avec une absence de révolte qui préfigure déjà son futur tempérament. Quelques amours adolescentes suivent ainsi que leurs rapides désillusions. Mais bientôt, la petite famille à la « va comme j’te pousse » éclate en morceau. Quand Grand Ma décide de se séparer du petit Georgie sous prétexte qu’« un idiot qui grandit ne peut attirer que des ennuis » … Ainsi, la vie continue sans passion. Car il faut bien survivre dans cet univers américain frappé par une inflation galopante. Ainsi est tracé le destin d’Augie.

Dans la suite du roman, nous allons le suivre partout, s’essayer à tous les métiers (vendeur de chaussures, homme de compagnie, passeur de clandestins, vagabond, employé d’une maison de Services pour chiens, apprenti trotskiste, voleur de livres occasionnel, inspecteur itinérant de travaux, délégué syndical, gigolo dresseur d’aigle au Mexique, « nègre » d’un écrivain milliardaire fou, intérimaire, etc.). Tentant tant bien que mal, de se sortir de toutes les difficultés qu’il va trouver sur sa route, y compris celles issue du fameux krach de 1929. Ainsi un de ses amis le définit : « Il y a une opposition en toi. Tu ne glisses pas à travers tout. Tu en donnes juste l’impression. » Augie lui, se définirait plutôt comme « un objet que Caligula aurait laissé tomber d’une hauteur de plusieurs centaines de mètres. » Il est libre Augie et veut le rester, même au risque de tomber dans tous les pièges. « J’en avais assez qu’on me tape sur la tête et qu’on m’assène des jugements. »

Magie de l’écriture de Saul Bellow. Picaresque, folklorique, bariolée. Les descriptions poussées et minutieuses de ses personnages. Magie se dégageant de ses paysages urbains ou agrestes qu’il sait par sa peinture nous rendre pour les premiers presque sympathiques ! L’œil acéré de Bellow, ironique, critique. Bellow auquel aucun détail n’échappe, jusqu’au plus intime. Bellow L’envoûteur philosophe : « L’homme qui s’ennuie obtient ce qu’il veut plus tôt qu’un autre. » Below et ses formules lapidaires. Ainsi de la femme d’un flic : « Elle ressemblait à une femme en liberté surveillée » … Tout le charme de Bellow ! L’histoire d’Augie March se termine dans les années d’après-guerre, mais après quel parcours !

Ici, on noya les Algériens




Nous sommes le 17 octobre 1961. A Paris, se déroule une manifestation pacifique de travailleurs, considérés alors comme français. Plus exactement des « Français musulmans d’Algérie », selon la dénomination officielle de l’époque. Ils se sont rassemblés pour protester, avec leurs familles, venues pour la plupart des bidonvilles de leurs banlieues, contre le couvre-feu raciste qui les vise eux, et eux seuls. La manifestation est sauvagement réprimée par la police de la capitale, sur ordre de son chef, le préfet Maurice Papon (dont on n’avait pas encore découvert à l’époque, le rôle qu’il avait joué dans la déportation des juifs). Mais pourquoi une telle répression, alors que les organisateurs de la marche avaient donné des consignes strictes aux participants : « Pas d’armes, pas de violences, pas même de simples canifs » ? En effet, la répression fut d’une rare violence, ainsi que le « tri ethnique » dès la sortie de la station du métro …

On comptabilisa dizaines de disparus, d’individus frappés à mort, d’autres purement et simplement jetés à la Seine, ou tués par balles. Onze mille arrestations, et une foultitude d’hommes parqués durant plusieurs jours, sans aucune assistance, dans l’enceinte du Palais des sports de la Porte de Versailles. Dès le lendemain, un appel signé par 223 intellectuels paraissait dans Les Temps modernes, la revue de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ainsi que dans d’autres revues. Dans Les Temps modernes, Sartre fait un rapprochement entre les Algériens entassés au Palais des sports et les juifs parqués à Drancy avant leur déportation.

Voilà pour les faits.

Dans sa préface, Edwy Plenel nous rappelle que quelques mois après le 17 octobre 1961, eut lieu le 8 février 1962, un autre événement raciste de grande envergure. Tandis qu’ils se rendaient à un rassemblement pour la paix en Algérie, 9 Algériens furent poussés et écrasés à la sortie du métro Charonne et ceci sous les ordres du même préfet : Maurice Papon. Or, les morts de Charonne ont longtemps occulté ceux du Pont de Neuilly. Et c’est pour remédier à cet oubli C’est ainsi qu’en 2015, Jean-Luc Einaudi fit paraitre la première version de ce livre sous le titre de La Bataille d’Einaudi. Il avait déjà pour objectif de « remettre la France et sa république en face de ses responsabilités pour une reconnaissance officielle de ce massacre colonialiste et raciste, commis sur l’ordre et l’autorité de la police française ».

La préface de Gilles Manceron à la première édition, raconte le combat solitaire mené par l’historien autodidacte, Jean-Luc Einaudi, éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse. Qui n’eut de cesse, tout au long de sa vie, depuis la parution de la deuxième version de son livre documentaire, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961, publiée en 1991, de mener une un réquisitoire complet contre ce « crime d’état » à l’encontre de manifestants pacifiques, si longtemps occulté. La préface retrace ainsi également, les responsabilités de la droite française, des socialistes et du PCF, en matière d’occultation de la vérité.

Pour sa part, le prologue de cette réédition retrace plus précisément l’histoire du procès médiatisé de Maurice Papon à la Cour d’Assises de Bordeaux, en octobre 1997, accusé notamment par Jean-Luc Einaudi. Procès où l’on vit un Papon, droit dans ses bottes, qui nia toute responsabilité déjà dans le gouvernement de Vichy, puis durant la guerre d’Algérie, lorsqu’il était alors préfet de la Police de Paris, de 1958 à 1962. Pour autant, appelé à la barre en tant que témoin, nommé par certaines parties civiles, Jean-Luc Einaudi fit preuve d’un imposant courage lors de sa déposition-réquisitoire. Ses révélations, issues de ses recherches ainsi que de témoignages d’Algériens survivants, se révèlent être accablantes pour Papon. Un véritable « coup de massue » pour ce dernier. Un certain nombre de pages sont consacrées à cette brèche enfin faite dans le « mur du silence ».

Mais il ne s’agissait encore que du début d’une longue bataille contre l’appareil et la raison d’état. En effet, une autre partie du livre est consacrée au combat mené par deux archivistes des Archives de Paris, Philippe Grand et Brigitte Lainé, et qui vont eux, payer très cher le simple fait d’avoir aussi témoigné, sur la base de ce qu’ils avaient appris dans les documents dont ils étaient responsables. Le chapitre suivant revient en détail sur le parcours militant de Jean-Luc Einaudi et ceci, jusqu’à sa mort et ses discrètes obsèques au Père Lachaise en mars 2014.

Dans une autre partie, Fabrice Riceputi recense dans un premier temps, le nombre impressionnant de mensonges et d’éléments de désinformations lancés par les « censeurs de l’histoire » sur les événements du 17 octobre. Et ceci durant plus d’une vingtaine d’années, malgré quelques tentatives infructueuses pour rétablir la vérité. Il faudra en effet, attendre l’hiver 1983 pour qu’une première manifestation soit organisée par des militant.es antiracistes au bord du canal St Martin pour exiger la reconnaissance du « pogrom ».

L’auteur aborde ensuite l’histoire des longues recherches menées par Jean-Luc Einaudi à partir de 1986, tandis que les seules archives disponibles étaient alors celles qui ne traitaient pas des « aspects sensibles » de la guerre d’Algérie, celles-ci étant masquées et passées sous silence dans les documents mis à disposition des chercheurs, triés sur le volet. Aussi, Einaudi décida de partir un mois en Algérie pour rassembler des témoignages convaincants. Ces derniers lui servirent d’ailleurs pour étayer ses propos dix ans plus tard, durant le second procès Papon.

Fabrice Riceputi évoque ensuite les passages les plus significatifs de la première version du livre d’Einaudi, La Bataille de Paris, véritable étude sociologique et historique sur les événements et leurs précédents (rafles quotidiennes au faciès, assassinats, mesures discriminatoire) durant la guerre d’Algérie et jusqu’au 17 octobre. Mais si la première version du livre remporta un tel succès à sa sortie en 1991, c’est que son auteur ne cacha rien du rôle pernicieux, également joué par le FLN auprès de la communauté algérienne immigrée en France, durant la guerre d’Algérie. Son véritable succès fut cependant dû au fait qu’on allait enfin connaitre après tant d’années, la vérité sur les événements du 17 octobre. Ceci sous le poids des 120 témoignages rassemblés par Einaudi de 1986 à 1990 (dont 32 de Français et même ceux de 17 policiers et de 13 fonctionnaires et élus qui étaient en fonction durant les événements).

L’auteur aborde ensuite les deux confrontations « parole contre parole sur un passé qui ne passe pas » qui eurent lieu entre l’ancien ministre Papon et Jean-Luc Einaudi. La première en 1997 à Bordeaux, où Papon faisait figure d’accusé, puis celle de 1999, où cette fois-ci, ce fut Einaudi qui (après avoir reçu une menace de mort) était le prévenu, après le renvoi du procès. Lors du premier procès, deux archivistes témoignèrent pour la défense. Il s’agit des déjà nommés, Brigitte Lainé et de Philippe Grand (qui lui déposa par écrit). Leur intervention déclencha la question de savoir si les dossiers sensibles concernant la Guerre d’Algérie aux Archives de Paris (qui dépendent toujours des Archives de France) devaient être ou non rendus accessibles au public (ceux des années Vichy ne l’ayant été qu’en 1980), alors que jusque-là leur gestion était faite « sur mesure » !

Fabrice Riceputi nous emmène ensuite découvrir la longue lutte qui va alors s’engager entre les associations, quelques intellectuels et les institutions et ceci jusqu’en 2008. En effet, sous la présidence de Sarkozy, ces archives seront accessibles au « cas par cas », mais sans pour autant avoir été rendues aussi transparentes que préconisé. Un long passage renvient ensuite sur les sanctions administratives et à la mise au placard qu’ont eu à subir Brigitte Lainé et Philippe Grand durant plus de six années. Les derniers chapitres interrogent sur la portée (relative) de la Bataille de Paris et des deux ouvrages postérieurs écrits par Einaudi en 2001 et 2009. Mais, Fabrice Riceputi passe surtout au peigne fin, l’attitude des trois derniers présidents français (Sarkozy, Hollande et Macron) face aux événements du 17 octobre. Entre déni, timidité et « apaisement », tandis qu’en 2019, les fameuses archives se refermaient au public, au nom du sacro-saint « secret défense ».

Décidemment, les archives du 17 octobre 1961 n’ont pas fini de faire parler d’elles. Un livre incontournable de la mémoire collective …

Patrick Schindler, individuel FA Athènes
Είμαστε δυο είμαστε τρεις Θεοδωράκης στίχοι





PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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A Paris, bientôt de la police, partout, partout !
Les Bonnes de Jean Genet vues par Robyn Orlin
N° 1 du rat noir de la bibliothèque
En octobre et novembre le ML avait reçu, le ML avait aimé
Razzia sur la culture en Turquie
Ces GJ isolés qui en veulent aux homos !
Service national universel pour les jeunes : attention, danger !
Vers l’acceptation de la diversité des familles dans la loi ?
Une petite info venue de Grèce
Le philosophe à l’épreuve des faits
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Loi sur la pénalisation des clients : billet d’humeur
Les anarchistes, toujours contre le mur !
Le Berry aux enchères
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le 20 septembre 2021 16:23:39 par Max Pelgrims

Merci Patrick. 17 octobre 1961 des textes mais aussi des photos : [LIEN]
Elie Kagan et Azenstarck.

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le 22 septembre 2021 07:23:36 par Patrick

Merci à toi Max pour cet ajout visuel où, pour la première fois, on voit le sujet des assassinats du 17 octobre 1961, abordé dans un journal télévisé ( il est vrai bien court ) mais avec à l’appui des images chocs, longtemps censurées et un certain nombre de témoignages édifiants.
C’était à l’occasion de la décision de Catherine Trautmann d’ouvrir les archives concernant la guerre d’Algérie. Décision qui ne tarda pas à être annulée sous couvert du sacro-saint "secret d’état". Ce dernier étant toujours mis en avant de nos jours pour garder bien au chaud, les secrets d’un passé colonial sanguinaire et assassin !...
Heureusement, le livre de Fabrice Riceputi, prenant le relais de ceux de Jean-Luc Einaudi ( que l’on aperçoit d’ailleurs dans le lien ) lève enfin un peu le voile !