Littérature > Octobre... Tiens, le rat noir de la bibliothèque est de retour...
Littérature
par Patrick Schindler • le 28 septembre 2020
Octobre... Tiens, le rat noir de la bibliothèque est de retour...
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Rubrique à parution aléatoire, Le rat noir de la bibliothèque vous propose les livres que le ML aura lus et aimés. Que la lecture de ces recensions vous donne l’envie de lire les livres proposés.
Vigo (dit Almereyda) : révolutionnaire et dandy
Les éditions L’Echappée présentent la biographie d’Anne Steiner sur « l’anarchiste dandy », Eugène Bonaventure Vigo (dit Miguel Almereyda), né en 1883. Fils adultère, il connait une enfance fracturée. Renié par sa famille paternelle, rudoyé par sa mère, il ne doit que son peu d’éducation à la famille de son beau-père qu’il quitte prématurément pour tenter sa chance à Paris comme photographe. Par un malheureux concours de circonstance, il se retrouve enfermé deux mois dans la terrible prison pour mineurs de la Petite Roquette, épisode tragique qui le marque à vie et le conduit à une vengeance implacable contre une société injuste. A sa sortie, il vit chichement, fréquente l’université populaire du Faubourg St Antoine où il rencontre le poète Paul Découé avec lequel il vit une amitié particulière et tâte de la bombe. Vigo écrit ses premiers articles dans Le Libertaire de Sébastien Faure sous le pseudonyme de Miguel Almereyda. Surveillé de très près par la police politique, Découé et Almereyda repassent par la case prison. A sa sortie, ce dernier est embauché dans l’équipe du journal anarchiste La Guerre sociale. Almereyda est de toutes les mobilisations de la Belle époque aux côtés des grandes figures anarchistes (antimilitarisme, Affiche rouge, avec les grandes figures anarchistes) ce qui lui vaut de récurrents arrestations et emprisonnements et de figurer en tête de la liste des principaux révolutionnaires de Paris dressée par les services de la Sûreté. On le suit ensuite traverser les désaccords entre les différentes tendances anarchistes qui s’entredéchirent après les attentats de l’action directe, ce qui ne les empêche pas cependant de mener un combat commun contre les royalistes antisémites de L’Action française. En 1912, Almereyda se tourne vers le blanquisme et intègre le Parti socialiste avec six membres de La Guerre sociale. Seul Sébastien Faure le soutien. Un an plus tard, ils lancent Le Bonnet rouge, revue satirique faisant la part belle aux arts et spectacles. Almereyda s’embourgeoise et perd beaucoup de ses amis notamment en prenant le parti de l’union républicaine et en acceptant le financement du journal par le ministre Joseph Caillaux dont la femme va bientôt assassiner Gaston Calmette, le directeur du Figaro. Le Bonnet Rouge, secrètement subventionné par le ministère de l’intérieur jusqu’en 1916, sera soupçonné de collaboration avec les autorités allemandes. Anne Steiner nous fait pénétrer dans les arcanes de cette « drôle d’histoire » qui sera fatale à Almereyda retrouvé mort étranglé avec ses lacets dans sa prison. Que s’est-il passé ? Comment son petit-fils, le cinéaste Jean Vigo cherchera sa vie durant à élucider la mort de son père (on se doit de lire à ce sujet, l’excellent livre de Thierry Guilabert : Jean Vigo libertaire, aux Editions libertaires) ? Moitié polar, moitié historique, l’ouvrage s’appuie sur de nombreux documents et témoignages, accompagnés de photos inédites. Hésitations, méandres et circonvolutions d’un parcours peu banal.
Anne Steiner, Révolutionnaire et dandy, Vigo dit Almereyda, éd. L’Echappée, 21 €, disponible à la Librairie Publico 145 rue Amelot et dans toutes les bonnes librairies.
A l’Ouest rien de nouveau
S’il y a des incontournables, A l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque, en est. L’histoire réaliste et bouleversante de huit jeunes Allemands âgés de dix-huit ans en 1914 « Quand nous partons, nous ne sommes que de vulgaires soldats, maussades ou de bonne humeur et, quand nous arrivons dans la zone où commence le front, nous sommes devenus des hommes-bêtes. » Nous suivons leur quotidien durant quatre années jusqu’en 1918. Le héros, Paul Bäumer et ses camarades sont soumis dès leur incorporation, à un bourrage de crâne patriotique. Des chefs brutaux et bornés leur assènent les clichés nationalistes totalement déconnectés du réel « Le premier bombardement nous montra notre erreur et fit écrouler la conception des choses qu’ils nous avaient inculquée. » Le réel, ce sont les tranchées envahies de rats, complètement détruites par les obus. Lors d’une permission après avoir été blessé, Paul se retrouve totalement décalé à l’arrière. Il s’enferme alors dans une superficialité qui n’a pour but que dissimuler toutes les atrocités auxquelles il a assisté. Ces corps réduits en charpie que ses proches ne peuvent même pas imaginer. Sur ces huit compagnons engagés en 14, combien en reviendront en 18 ? Ce livre est un concentré d’humanité, de solidarité et d’interrogations sur la guerre.
Dès sa parution en 1928, il connut un véritable succès. Tout autant que la version américaine filmée, témoignage implacable de la boucherie guerrière qui, lors de sa première en 1930, sera l’occasion rêvée de faire un grand coup de propagande pour les nazis. S’estimant humiliés par les Américains, les hommes de Goebbels perturbent la projection, lâchent des bombes puantes et des rats dans la salle, entonnent des chants nationalistes et provoquent leurs opposants. Du balcon, Joseph Goebbels clame « Ce film est une tentative de détruire l’image de l’Allemagne. » Retiré de l’affiche, les nazis jubilent. A la prise du pouvoir d’Hitler, Remarque s’exile aux États-Unis.
Il faudra attendre les années 1950 pour revoir A l’Ouest, rien de nouveau et relire le roman, Hitler l’ayant inscrit sur la liste des autodafés pour « trahison ». Malgré ces années de censure, il restera dans les annales de l’antimilitarisme, au même titre que les incontournables Les Croix de bois de Roland Dorgelès, Le Feu d’Henri Barbusse et Orage d’Acier d’Ernst Jünger.
Erich Maria Remarque, A l’Ouest rien de nouveau, Livre de poche.
Mohamed Saïl, « l’étrange étranger »
Les éditions Lux nous ont envoyé L’étrange étranger, écrits d’un anarchiste kabyle,un recueil des textes de Mohamed Saïl, écrits tout au long de sa courte existence dans la presse anarchiste du début du XXème siècle. Saïl est né en Algérie en 1894.
Peu instruit, après avoir exercé plusieurs métiers manuels, il rejoint la France continentale à l’âge de 17 ans et fréquente un petit groupe anarchiste. En 1914, réfractaire à la guerre, il est interné. A sa sortie, il écrit des articles contre le Code de l’indigénat, imposé par le gouvernement français dès 1887 sur l’ensemble de ses colonies (travaux forcés, interdictions en tous genres, réquisitions, taxes sur les autochtones, etc.) mais tout autant contre l’intoxication idéologique exercée sur les populations locales par le Parti communiste.
Mohamed Saïl retourne en Algérie en 1925 où il participe au lancement du journal anarchiste Le Flambeau.
Il y écrit des articles anticolonialistes « Prenez garde qu’un jour les parias en aient marre et qu’ils ne prennent les fusils que vous leur avez appris à manier pour les diriger contre leurs véritables ennemis, au nom du droit à la vie. »
De retour à Paris dans les années 30, il écrit dans Le Libertaire, l’organe de la Fédération anarchiste et fonde avec Sliman Kiouane, le Comité d’action pour la défense des indigènes algériens, affilié à la FA. Il écrit s’élève contre le centenaire de la conquête de l’Algérie « Que nous a donc apporté cette France si généreuse dont les lâches et les imbéciles vont partout proclamant leur grandeur d’âme ? Les industriels et gros commerçants français rapaces, sans scrupules n’ont pas hésité à détruire la civilisation algérienne et ont mis à sa place l’oppression féroce, l’arrogance, la misère, la mort : leur civilisation ! ». « Que les Algériens se souviennent de la comédie criminelle de 14-18. Cent mille travailleurs y laissèrent leur carcasse pour conquérir une prétendue liberté. On exaltait alors l’héroïsme des enfants d’Afrique… Quand il s’agissait de crever, ils étaient des héros. Maintenant qu’il s’agit de vivre, ils sont redevenus des « bicots ». En 1934, il écrit dans Terre libre « Les rues d’Alger, ville lumière, grouillent de mendiants que piétinent les expropriateurs de leurs parents. Vol, rapine, incendie, assassinat d’un peuple trop faible pour se défendre, voilà votre œuvre, voilà ce qu’est votre civilisation dans sa triste réalité. » A l’avant-garde de la lutte antifasciste, il est interné. Lorsqu’éclate la révolution espagnole, il s’engage dans la centurie Sébastien Faure de la colonne Durruti. De retour en France, blessé, il communique son enthousiasme pour les réalisations communistes libertaires espagnoles. Etroitement surveillé et régulièrement interpellé pour ses actions politiques et antimilitaristes durant la guerre, il soutient la tendance Georges Fontenis, lors des conflits qui déchirent la Fédération, tandis que la tendance pluraliste crée Le Monde libertaire. Tout au long de ce petit livre, nous suivons l’évolution de Mohamed Saïl sur une trentaine d’articles d’actualité politique publiés dans Le Libertaire, Le Flambeau, L’éveil social, Le Combat syndicaliste, L’Insurgé (anarchiste individualiste), Terre Libre, etc.
En 1939, après une distribution de tracts antimilitaristes, il est interné pour une dixième année de sa vie. On perquisitionne son domicile et lui vole sa bibliothèque qu’il affectionnait particulièrement. Pendant l’occupation, il fabrique de fausses cartes d’identité pour permettre aux camarades en danger de fuir. Militant infatigable, il écrit dans Le Libertaire en 1946 « Travailleurs algériens, pour qu’il n’y ait plus de caïds, de députés ou de marabouts endormeurs du peuple, venez avec nous ! Tous ensemble, nous édifierons un régime sans classes, le fédéralisme libertaire, où il n’existera ni maîtres, ni valets, mais seulement des hommes et des femmes égaux. »
Saïl, meurt en 1953 âgé de 69 ans. Le petit livre retrace sa vie en quête d’un éternel combat pour l’idéal anarchiste à travers plus d’une trentaine de ses articles.
Mohamed Saïl, l’étrange étranger, écrits d’un anarchiste Kabyle, éd. Lux, 10 €, disponible à la librairie Publico, 145 rue Amelot et dans toutes les bonnes librairies.
Relire l’arrache-cœur
Il est des romans que l’on dit « faits pour les adolescents ». L’Arrache cœur fait partie de cette catégorie. N’ayant pas échappé à la règle, je l’ai découvert à l’âge de 14 ans, grâce à une prof de français particulièrement éclairée. En le relisant cinquante ans plus tard, je me suis aperçu combien la profondeur du drame m’avait échappée. L’action se déroule dans un petit village d’une région indéterminée. Par le plus grand des hasards, le psychiatre Jacquemort se retrouve à accoucher Clémentine, la mère des triplés Noël, Joël et Citroën. Après leur naissance, leur père Angel devient « persona non grata », sa femme ne supportant plus qu’il la touche. Jacquemort passera son temps à la recherche de quelqu’un à psychanalyser dans le village pour « remplir le vide qui l’habite ». La proie se révèlera plus difficile à trouver qu’il n’y parait, tant les mœurs qui s’y pratiquent sont étranges. Spectateur impuissant, il assistera au long naufrage de Clémentine, mère hyper possessive, dans une folie sécuritaire vis-à-vis de ses enfants… Jusqu’où la mènera son délire échappant à tout bon sens ?
L’arrache cœur est sans doute le plus abouti et le plus poignant des romans de Boris Vian. Histoire délirante, sorte de gant retourné contre toute logique, cynique il se révèle d’une profondeur vertigineuse, abyssale. Ponctuée de mots inventés, détournés ou enchantés portant haut la palette magique d’un des plus grands génies d’après-guerre.
Boris Vian, L’Arrache cœur, livre de poche, disponible à la librairie Publico et dans toutes les bonnes librairies.
Se défendre, une philosophie de la violence
Se défendre, Une philosophie de la violence d’Elsa Dorlin s’ouvre sur l’effrayant jugement de Millet de la Girardière, exposé sur la place de la Pointe-à-Pitre dans une cage de fer, à cheval sur une lame tranchante, les pieds posés sur des espèces d’étriers jusqu’à ce qu’une mort lente s’en suive. Supplice pouvant se résumer par l’adage pervers : « Plus tu te défends, plus tu souffres, plus certainement tu meurs. »
Elsa Dorlin prend ensuite l’exemple de Rodney King lynché par la police de Los Angeles en 1991 à coups de Taser et dont la scène filmée servira pour finir à disculper les policiers impliqués. Verdict qui déclenchera les fameuses émeutes de Los Angeles, six jours durant. Introduction à une réflexion sur la violence défensive en deçà de la « légitime défense ». Celle-ci englobant tout autant l’histoire du port d’arme à travers les siècles de la colonisation, du Code Noir ; de nombreux chapitres consacrés à l’autodéfense (des citoyennes de la Révolution française aux juifs du ghetto de Varsovie, ainsi qu’aux philosophes de « la défense de soi ». Elsa n’épargne pas pour autant les revers de la médaille avec la dérive de la légitime défense chez les milices du Ku Klux Klan, jusqu’à ce que le vent tourne au début des années 1920, avec le Harlem Renaissance et les Black Panthers dans les années 70, faisant école dans les mouvements féministes, LGBT et trans. Ceci n’empêchant pas Elsa Dorlin de reconnaitre que les campagnes portant sur les violences faites aux femmes ont toutes échouées depuis les trente dernières années, n’ayant pas proposé de formes alternatives capables de répliquer efficacement. Une réflexion complète sur le sujet.
Elsa Dorlin, Se défendre, Une philosophie de la violence, éd. La découverte, 11,50 €, disponible à la Librairie Publico et dans toutes les bonnes librairies.
Patrick Schindler
PAR : Patrick Schindler
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